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Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/349

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Hadaly, souriante, et se croisant les mains sur l’épaule du jeune homme, lui dit tout bas :

― Qui je suis ?… Un être de rêve, qui s’éveille à demi en tes pensées ― et dont tu peux dissiper l’ombre salutaire avec un de ces beaux raisonnements qui ne te laisseront, à ma place, que le vide et l’ennui douloureux, fruits de leur prétendue vérité.

Oh ! ne te réveille pas de moi ! Ne me bannis pas, sous un prétexte que la Raison traître, qui ne peut qu’anéantir, déjà te souffle tout bas. Songe que, né en d’autres pays, tu penserais d’après d’autres usages, et qu’il n’est, pour l’Homme, d’autre vérité que celle qu’il accepte de croire entre toutes les autres, ― aussi douteuses que celle qu’il choisit : choisis donc celle qui te rend un dieu. « Qui je suis ? » demandais-tu ? Mon être, ici-bas, pour toi du moins, ne dépend que de ta libre volonté. Attribue-moi l’être, affirme-toi que je suis ! renforce-moi de toi-même. Et soudain, je serai tout animée, à tes yeux, du degré de réalité dont m’aura pénétrée ton Bon-Vouloir créateur. Comme une femme, je ne serai pour toi que ce que tu me croiras. ― Tu songes à la vivante ? Compare ! Déjà votre passion lassée ne t’offre même plus la terre ; ― moi, l’Impossessible, comment me lasserai-je de te rappeler le Ciel !

Ici, l’Andréïde prit les deux mains de lord Ewald, dont la stupeur, le recueillement sombre et l’admiration, atteignaient un paroxysme intraduisible. Cette haleine tiède, pareille à une brise vague ayant passé sur des moissons de fleurs, l’étourdissait ! Il se taisait.