Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/36

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ses yeux que le regard dont un philosophe honore toujours trop de pures contingences.

Il y a quelques années, d’après les gazettes américaines, Edison ayant trouvé le secret d’arrêter court, et sans le plus léger encombre, deux trains lancés à toute vapeur à l’encontre l’un de l’autre, sut persuader au directeur d’une compagnie d’embranchement du Western-Railway de tenter et sans retard l’essai du système pour en sauvegarder le brevet.

Les aiguilleurs donc, par une belle nuit de lune, dirigèrent sur une même ligne et lancés avec une vitesse de trente lieues à l’heure, l’un vers l’autre, deux trains gorgés de voyageurs.

Or, les mécaniciens, se troublant, au moment précis de la manœuvre, devant la soudaineté du péril, exécutèrent tout de travers les instructions d’Edison qui, debout sur une hauteur voisine et mâchonnant un régalia, regardait s’accomplir le phénomène.

Les deux trains fondirent comme l’éclair l’un sur l’autre, s’accostant avec un choc terrible.

En quelques secondes plusieurs centaines de victimes furent projetées de tous côtés, pêle-mêle, écrasées, carbonisées, broyées, hommes, femmes et enfants, y compris les deux mécaniciens et les chauffeurs dont il fut impossible de retrouver trace dans la campagne.

― Stupides maladroits ! murmura simplement le physicien.

Toute autre oraison funèbre, en effet, n’eût été que superflue. Les panégyriques ne sont pas de son métier, d’ailleurs. ― Depuis ce contre-temps, l’étonnement d’Edison est que les Américains hési-