Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/370

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suffit à mistress Anderson, ― à Sowana, plutôt, ― de passer l’une d’elles à son doigt (si j’ai l’autre bague, aussi, à mon doigt), pour, non seulement subir, à l’instant même, la transmission, vraiment occulte ! de ma volonté, mais pour se trouver, mentalement, fluidiquement et véritablement, auprès de moi, jusqu’à m’entendre et m’obéir, ― son corps endormi se trouvât-il à vingt lieues. Sa main tenant l’embouchure d’un téléphone, elle me répondra ici, par voie d’électricité, à ce que je me contenterai de prononcer tout bas. ― Que de fois nous avons causé, de la sorte, au mépris positif de l’espace, cette créature, ainsi spiritualisée, et moi !

J’ai dit Sowana, tout à l’heure. Vous n’oubliez pas, sans doute, que la plupart des grandes magnétisées finissent par se désigner à la troisième personne, comme les petits enfants. Elles se voient distantes de leurs organismes, de tout leur système sensoriel, enfin. Pour se dégager davantage en augmentant l’oubli de leur personnalité physique, ― sociale, si vous le voulez, ― plusieurs d’entre elles, parvenues à l’état de voyance, ont la singulière coutume de se baptiser, je puis dire, d’un nom de songe qui leur vient on ne sait d’où, et dont elles veulent être appelées, dans leur lumineux sommeil, au point de ne plus répondre qu’à ce pseudonyme d’outre-monde. C’est ainsi qu’un jour, ― tout à coup ― s’interrompant d’une phrase commencée, mistress Anderson, m’a dit, avec une simplicité d’intonation capable de déconcerter les moins superstitieux, ces seuls mots inoubliables :

«  ― Ami, je me rappelle Annie Anderson, qui