Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/46

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curé tout ces lourds décors de Temps et d’Espace, si usés, si rapiécés, auxquels personne ne croit plus.

Quant aux mystiques, je puis leur soumettre une réflexion naïve, paradoxale, superficielle, s’ils veulent, mais singulière : ― N’est-il pas attristant de penser que si Dieu, le Très-Haut, le bon Dieu, dis-je, enfin le Tout-Puissant, (lequel, de notoriété publique, est apparu à tant de gens, qui l’ont affirmé, depuis les vieux siècles, ― nul ne saurait le contester sans hérésie ― et dont tant de mauvais peintres et de sculpteurs médiocres s’évertuent à vulgariser de chic les prétendus traits) ― oui, penser que s’Il daignait nous laisser prendre la moindre, la plus humble photographie de Lui, voire me permettre, à moi, Thomas Alva Edison, ingénieur américain, sa créature, de clicher une simple épreuve phonographique de Sa vraie Voix (car le tonnerre a bien mué, depuis Franklin), dès le lendemain il n’y aurait plus un seul athée sur la terre !

Le grand électricien, en parlant ainsi, plaisantait sourdement l’idée vague, ― indifférente, même, selon lui, ― de la réflexe et vivante spiritualité de Dieu.

Mais, en celui qui la réfléchit, l’Idée-vive de Dieu n’apparaît qu’au degré seul où la foi du voyant peut l’évoquer. Dieu, comme toute pensée, n’est dans l’Homme que selon l’individu. Nul ne sait où commence l’Illusion, ni en quoi consiste la Réalité. Or, Dieu étant la plus sublime conception possible et toute conception n’ayant sa réalité que selon le vouloir et les yeux intellectuels particuliers à chaque vivant, il s’ensuit qu’écarter de ses pensées l’idée d’un Dieu ne signifie pas autre chose que se décapiter gratuitement l’esprit.