Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/59

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mille inquiétudes, sujette à toutes influences ? Ne devons-nous pas accueillir toujours avec l’indulgence la plus amie et de notre meilleur sourire les semblants de ses tendances fantasques, les inconstances de ses goûts, pour une ombre aussi changeants que le chatoiement d’un plumage ? Cette instabilité fait partie du charme féminin. Une joie naturelle doit nous porter, au contraire, à doucement reprendre, à transfigurer par mille transitions lentes ― et dont elle nous aime davantage, les devinant, ― à guider, enfin, un être frêle, irresponsable et délicat qui, de lui-même et par instinct, demande appui. ― Donc, était-il sage de juger aussi vite et sans réserve une nature dont l’amour pouvait bientôt (et ceci dépendait de moi) modifier les pensées jusqu’à les rendre le reflet des miennes ?

Certes, je me disais cela ! Cependant, je ne pouvais oublier qu’en tout être vivant il est un fond indélébile, essentiel, qui donne à toutes les idées, même les plus vagues, de cet être et à toutes ses impressions, versatiles ou stables, ― quelques modifications qu’elles puissent extérieurement subir, ― l’aspect, la couleur, la qualité, le caractère, enfin, sous lesquels, seulement, il lui est permis d’éprouver et de réfléchir. Appelons ce substrat l’âme, si vous voulez.

Or, entre le corps et l’âme de miss Alicia, ce n’était pas une disproportion qui déconcertait et inquiétait mon entendement : c’était un disparate.

À ce mot de lord Ewald, on eût dit que le visage d’Edison s’inondait d’une pâleur soudaine : il eut un mouvement et un regard d’une surprise ― qui