Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/66

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faute d’autres et impatiente de le renier (après en avoir extrait une fortune habilement). ― L’illusion divine de la gloire, l’enthousiasme, les nobles élans de la foule ne sont, pour elle, qu’un engouement de désœuvrés, auxquels elle estime que les grands artistes ne servent que de « jouets ».

Maintenant, ce que cette femme regrette dans sa faute, loin d’être l’honneur lui-même (cette abstraction surannée), n’est que le bénéfice que ce capital rapporte, prudemment conservé.

Elle va jusqu’à supputer les avantages dont une mensongère virginité l’eût indignement dotée si sa malversation fût demeurée inconnue dans son pays. Elle ne sent, d’aucune manière, que de pareils regrets constituent et conditionnent seuls le vrai déshonneur, bien plus qu’un accident extérieur de la chair, puisque celui-ci ne peut plus être, dès lors, envisagé que comme une fatalité inévitable, virtuellement contenue, dès avant les langes, dans le tempérament d’un être qui se définit de la sorte.

Son inconscience de la vraie nature de ce qu’elle prétend ou croit avoir perdu ne rend-elle pas insignifiante, en un mot, cette circonstance corporelle de plus ou de moins ?

Quand donc cette jeune femme fut-elle plus déchue ? Avant ou après ? ― Ne se vante-t-elle pas, même, en s’accusant d’une « chute » puisque sa façon de déplorer cette prétendue chute est plus impure que la faute ? ― Et, quant à sa virginité, je dis qu’elle n’eut jamais à perdre, sous ce rapport, qu’une sorte de néant, puisqu’elle n’eut pas même l’excuse de l’amour.