Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/73

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de la parer. ― Vous pensez que, pour m’en sembler digne, il faut qu’elle soit d’une beauté bien prodigieuse, bien étourdissante, n’est-ce pas ?

― Vraiment, mon cher lord, vous me faites comprendre qu’un lord peut s’appeler Byron ! répondit Edison en souriant, et il faut que vous soyez bien rude à la désillusion pour avoir eu recours à toute cette impraticable poésie plutôt que d’admettre la banale réalité. Voyons, ne sont-ce pas là des raisonnements de grand opéra ? Quelle femme pourrait jamais les concevoir, ― à part quelques derniers êtres mystiques ? ― On ne s’élève ainsi le tempérament que pour un dieu.

― Mon cher et subtil confident, j’ai reconnu trop tard qu’en effet ce sphinx n’avait pas d’énigme : je suis un rêveur puni.

― Mais, dit Edison, comment en êtes-vous encore à l’amour pour elle, l’ayant à ce point analysée ?

― Ah ! parce que le réveil n’entraîne pas toujours l’oubli du rêve et que l’Homme s’enchaîne avec sa propre imagination ! répondit amèrement lord Ewald. Voici ce qui s’est passé.

Pénétré de la foi dont j’entourais ainsi mon amour, elle et moi nous nous sommes vite appartenus. Que d’évidences, alors, il a fallu pour me prouver que la comédienne ― ne jouait pas de comédie ! Le jour où je le reconnus sans retour, je voulus encore m’affranchir de ce fantôme…

Mais, je dois l’avouer, les liens de la Beauté sont forts et sombres. J’ignorais leur intrinsèque pouvoir lorsque, dupe de ma chimère, je m’aventurai dans cette passion. Les siens étaient entrés déjà dans