Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/74

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mes chairs comme des lacets de tortionnaire quand, désillusionné à jamais, je voulus les secouer ! ― Je me suis réveillé, un peu comme Gulliver à Lilliput, chargé d’un million de fils. ― Alors je me sentis perdu. En mes sens, brûlés de l’étreinte d’Alicia, mon énergie s’était affaiblie. Dalila m’avait coupé les cheveux pendant ce sommeil. Je pactisai par lassitude. Plutôt que d’abandonner courageusement le corps, je voilai l’âme. Je devins muet.

Jamais elle ne s’est doutée des transports de véritable rage que je dompte et refoule dans mes veines à son sujet. Que de fois j’ai failli la détruire et moi-même ensuite ! ― Une concession défendue, un mirage ! m’ont donc asservi à cette merveilleuse forme morte !… Hélas ! miss Alicia ne représente plus, aujourd’hui, pour moi, que l’habitude d’une présence et j’atteste Dieu que la posséder me serait impossible.

À ce mot, à l’éclair qui passa dans les yeux du jeune homme sur cette dernière parole, Edison eut comme un mystérieux sursaut ; ― néanmoins il se tut.

― Ainsi conclut lord Ewald, elle et moi nous existons, ensemble et séparés à la fois.