Aller au contenu

Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/79

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

miss Alicia n’est pas une artiste, n’est-ce pas ?

― Juste ciel ! dit lord Ewald : je le crois bien. Ne vous ai-je point dit que c’était une virtuose ? Et le virtuose n’est-il pas l’ennemi direct et mortel du Génie et de l’Art même, par conséquent ?

L’Art n’a pas plus de rapport, vous le savez, avec les virtuoses, que le Génie n’a de rapport avec le Talent ; la différence, entre eux, étant, en réalité, incommensurable.

Les seuls vivants méritant le nom d’Artistes sont les créateurs, ceux qui éveillent des impressions intenses, inconnues et sublimes. Les autres ?… Qu’importe ! Les glaneurs, passe encore ; mais ces virtuoses qui viennent enjoliver, aniaiser enfin, l’œuvre divine du Génie ? Ces infortunés qui, dans l’art de la Musique, par exemple, s’évertueraient à « broder mille variations », de « brillantes fantaisies » jusque sur le clairon du Jugement-dernier ?… Quelle odeur de singes ! ― N’auriez-vous jamais vu de ces personnages qui, après une « séance », passent deux doigts dans leurs longs cheveux et regardent les plafonds, en mesure, d’une manière inspirée ? De tels fantoches donnent honte, vraiment. C’est à croire qu’ils n’ont d’âme qu’au figuré, comme on dit l’âme d’un violon. ― Eh bien, miss Alicia n’a que cette sorte d’âme !… Mais, médiocre avant tout, elle manque même de ce sens bâtard qui fait que les virtuoses croient que la Musique est belle ! chose qu’ils ont cependant bien moins le droit de dire que le dernier des sourds. Ainsi, en parlant de sa voix surnaturelle, de ses mille inflexions, de la magie de son timbre idéal, elle dit qu’elle possède un « talent