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Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/80

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d’agrément. » Elle trouve les gens un peu « fous » de s’intéresser tant à ces choses-là ! L’enthousiasme lui fait toujours un peu pitié, comme seyant fort mal aux personnes distinguées. De sorte qu’elle trouve moyen de renchérir encore, vous le voyez, sur la sottise et la suffisance des virtuoses. Lorsqu’elle chante, grâce à quelques instances de ma part, ― (car cela l’ennuie, chanter n’étant pour elle que le travail de son regrettable métier, pour lequel elle n’était pas faite, hélas !) ― il lui arrive parfois de s’interrompre ― si l’admiration me fait fermer les yeux, et de me dire « qu’elle ne comprend vraiment pas qu’un gentilhomme puisse se monter ainsi la tête pour des choses en l’air, au lieu de songer à la tenue qu’exige le rang !… » Vous voyez : c’est simplement, ici, rachitisme intellectuel.

― Ce n’est pas, non plus, une femme bonne ? demanda Edison.

― Comment le serait-elle, puisque c’est une sotte ! On n’est bon que lorsqu’on est bête, dit lord Ewald. ― Oh ! criminelle, méchante, sombre, avec des sens d’impératrice romaine, je l’eusse comprise ! et mille fois préférée ! Mais, sans être bonne, elle n’a pas de ces appétits fauves, nés, au moins, d’un puissant orgueil. Bonne ! dites-vous ? En elle, aucune trace de cette auguste bonté qui transfigure la laideur et répand son baume enchanté sur toute blessure !

Non. Médiocre avant tout, elle n’est même pas méchante : elle est bonnasse, comme elle est avaricieuse plutôt qu’avare : toujours sottement, jamais bêtement. Elle a cette hypocrisie des cœurs faibles et secs, pareils au bois mort, qui ne sont