Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/81

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pas plus dignes, enfin, des services qu’ils rendent que de ceux qu’ils reçoivent. ― Aussi, de quelle sensiblerie les bonasses ne doublent-ils pas leur amertume indifférente ? ― Tenez, mon cher Edison, un soir, au théâtre, j’observais miss Alicia Clary pendant qu’elle écoutait je ne sais quel mélodrame, issu de la plume de l’un de ces faussaires de la parole, de ces détrousseurs de lettres qui, avec leur jargon de faiseurs, les banalités de leur fiction, leurs lazzis de grimaciers, atrophient, dans une impunité triomphante et lucrative, le sens de toute élévation chez les foules. Eh bien ! j’ai vu les admirables yeux de cette femme se remplir de larmes à ces dialogues abjects ! Et je la regardais pleurer comme on regarde pleuvoir. Moralement, j’eusse aimé mieux de la pluie : mais, physiquement, ― que voulez-vous ? il faut bien en convenir, ― ces larmes mêmes, sur ce visage, étaient splendides. Les lumières en baignaient les diamants : elles roulaient sur ce sublime et pâle visage, sous lequel ne somnolait, cependant, que la niaiserie émue ! En sorte que je ne pouvais qu’admirer avec mélancolie cette simple transsudation d’animalité.

― Bien ! dit Edison. ― Miss Alicia n’est pas sans appartenir à quelque secte religieuse, n’est-ce pas ?

― Oui, dit lord Ewald. Je me suis complu dans l’analyse de la religiosité de cette inquiétante femme. Elle est mystique ― non par le vivifiant amour d’un Dieu Rédempteur, ― mais parce que cela lui semble de toute convenance et que c’est très « comme il faut. » Voyez-vous, la manière dont elle tient son livre de prières en revenant de l’office du dimanche ressemble, dans un autre ordre