Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/86

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mystérieuse créature ! Elle regardait, jalouse, les chefs-d’œuvre qui, pensait-elle, la privaient, pour un instant, d’une attention totale, sans comprendre qu’elle faisait partie de la beauté de ces chefs-d’œuvre et que c’étaient des miroirs que je lui montrais.

En Suisse, devant le mont Rose, à l’aurore, elle s’écriait (et avec un sourire aussi beau que cette aurore sur cette neige) : « Ah ! je n’aime pas les montagnes, moi ; cela m’écrase. »

À Florence, devant les merveilles du siècle de Léon X, elle disait avec un bâillement léger :

― Oui, c’est très intéressant, tout cela.

En Allemagne, en écoutant Wagner, elle disait :

― On ne peut pas suivre un « air », dans cette musique-là ! Mais c’est fou !

D’ailleurs, tout ce qui n’est même pas simplement sot ou vil, elle appelle cela les étoiles.

Ainsi, à chaque instant, je l’entends murmurer de sa voix divine :

― Tout ce que vous voudrez, mais pas les étoiles ! Voyez-vous, mon cher lord, ce n’est plus sérieux.

Telle est sa devise favorite, qu’elle récite machinalement, ne traduisant, en ce refrain, que sa soif natale d’abaisser toujours ce qui dépasse le strict niveau de la terre.

― L’Amour ? c’est un de ces mots qui ont le don de la faire sourire, et je vous dis qu’elle clignerait de l’œil, si son visage sublime obéissait à la frivole grimace de son âme, puisqu’il paraît qu’elle en a une. Et j’ai constaté qu’elle en avait une dans les seuls et terribles instants où elle sem-