Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/114

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ma patrie, les représentants d’une nation vaincue par la mienne et saignante encore, et, au nom de l’Esprit humain, sourds aux toasts environnants portés contre leur pays, auront la magnanimité de m’acclamer ! Les plus parfaits chanteurs, les plus grands exécutants, — si intéressés d’habitude, et pour cause, — oublieront, cette fois, tous engagements, lucres, feux et bénéfices, pour le seul honneur d’exprimer, gratuitement, quoi ? — ma mu-sique.

Et, chaque année, je recommencerai le miracle de cette fête étrange, qui se perpétuera même après ma mort comme une sorte de religieux pèlerinage. Et, chaque fois, après des centaines d’heures passées à mon théâtre, chacun s’en retournera dans son pays, l’âme agrandie et fortifiée par la seule audition de quoi ?… de ma mu-sique ! Et, tous, au moment des adieux, ne projetteront que de revenir l’année suivante.

Et le plus mystérieux, c’est que, devant ces faits accomplis, personne, parmi les tiens, ne trouvera rien d’extraordinaire à tout cela.

Et enfin, lorsque ceux-là mêmes qui, de par le monde entier, haïront, de naissance, ma musique, seront acculés jusqu’à se voir contraints de l’applaudir quand même, à peine de passer pour de simples niais malfaisants, c’est-à-dire d’être reconnus, je te dis et jure que ma musique résistera même à leur fictive et déshonorante admiration : et qu’alors leur secrète rage, affolée, finira par élever cette musique à la hauteur d’un cas de