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Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/115

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guerre !! Car il faut faut que certains peuples ne puissent l’entendre.

Oui, mon cher consolateur, voilà le rêve que je réaliserai sous peu d’années, quand la seule exploitation de mon œuvre intellectuelle nourrira, physiquement, sur le globe, des milliers et des milliers d’individus.

Et, pour te dédommager d’avoir eu la complaisance d’en écouter — vainement, d’ailleurs — le prophétique projet, je vais le signer, sur-le-champ pour peu que tu le souhaites, une excellente stalle que tu revendras cher, l’heure venue.

À ces incohérentes paroles, le trop sensible Industriel, qui avait écouté jusque-là bouche bée, se leva silencieusement les yeux pleins de larmes. Car est-il rien de plus triste, même au regard froid du trafiquant, que le spectacle d’une intelligence « amie » sombrant dans la démence ? Le généreux Mécène souffrait sincèrement — et c’est à peine si le sentiment de cette indiscutable suprématie qu’exercera toujours, espérons-le, le Sens commun riche sur la Pensée pauvre, calmait un peu, tout au fond de son être, l’amertume de sa consternation. Entre deux hoquets douloureux donc, il supplia son bohème de se mettre au lit. Voyant que sa suggestion n’était accueillie que par un doux sourire il bondit, selon son devoir, hors de la chambre (le cœur gros) et courut à toutes jambes requérir divers médecins aliénistes pour fourrer à Bicêtre, le soir même, vu l’urgence, son malheureux protégé.