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Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/120

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pour un inconnu voyage ! Trois jours après, Tomolo Ké Ké (qui en épiait, avec anxiété, le retour par l’autre courant) fut assez heureux pour le constater et la recueillir. Elle n’était pas sensiblement endommagée : le courant, longeant les sinuosités des écueils, l’avait gouvernée mieux qu’un pilote, et ce fut avec une grande joie que l’observateur constata, sur l’un des bouts, la présence incrustée, de sédiments terreux dont elle était dénuée au départ… Houh ! ses pressentiments ne l’avaient pas trompé !

En moins d’un semestre, une épaisse pirogue, aux extrémités coniques, en cœur de manglier, pouvant se clore hermétiquement (grâce à un enduit graisseux qui, sitôt fermée, en imperméabilisait les rentrants), fut construite dans le silence de sa hutte solitaire par l’étonnant Ké Ké. Ses expériences réitérées lui apprirent bientôt qu’à égalité de force inverse dans les courants, sa grosse branche mettait environ trente-six heures à toucher l’autre foyer de l’ellipse ; et, par des calculs hypergéniaux (ces sauvages n’en font jamais d’autres !), il avait trouvé le poids exact de lest qu’il fallait à sa pirogue — (celle-ci étant remplie de sa personne et de deux seconds de son poids) — pour se maintenir, sans monter ni enfoncer, dans la ligne sous-marine du courant. Tomolo Ké Ké donc, grâce à l’éloquence des hommes à idée fixe, persuada bientôt deux des crânes les moins triangulaires de ses compatriotes de l’accompagner en son voyage de découverte ; ceux-ci transportés par sa