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Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/211

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sa propre satiété ? Est-ce donc méconnaître le bienfait de la vie que de n’en point vouloir éprouver les dégoûts ? — Que sont des plaisirs qui ne se réalisent jamais, sinon mêlés d’un essentiel remords ?… Et quel plus grand bonheur que de vivre son existence avec une âme forte, pure, indéçue — et s’étant soustraite aux atteintes même de toutes mortelles concupiscences pour ne point déchoir de son idéal ?

— Il est aisé de se dire forte en se dérobant à l’épreuve de tous combats.

— Je ne suis qu’une créature humaine, faite de chair et de faiblesses, péchant, quand même, toujours ; pourquoi voudrais-je d’autres luttes que celles-là dont je suis sûre de sortir victorieuse ?

— Alors, lui demandai-je avec un affectueux étonnement, comment se fait-il que vous soyez venue ici ce soir !

Un inexprimable sourire, fait de dédain terrestre et d’extase sacrée, illumina la pâleur de ses traits :

— J’ai dû subir, dans ma docilité, l’ancienne coutume du Carmel qui prescrit à l’humble fiancée de la Croix d’affronter les tentations du monde avant de prononcer ses vœux. Je suis ici par obéissance.


En ce moment même d’harmonieuses mélodies du bal nous parvinrent, plus distinctes ; une tenture du salon venait d’être écartée, laissant entrevoir un resplendissement de femmes souriantes, dans les valses, sous les lumières. Envisageant donc