Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/222

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l’Histoire, les admirations des peuples, leur souvenance des grands hommes, — je m’étais toujours sentie plus anxieuse, moi, du sort de ton nom dans les âges ! Et, vois ! ces derniers jours, lorsqu’aux jeux olympiques, le peuple acclamait tes triomphes de poète, d’artiste et d’athlète, j’étais désespérée.

« Hélas ! me disais-je, les hommes ne daignent ou ne peuvent se rappeler que ces héros massifs, incarnés en un seul acte, en un seul rêve, comme des statues !… Mais toi, si divers ! Toi, d’une fable où tant de traits se contredisent ! Quel rhapsode pourra jamais définir, sous tant d’aspects, l’unité de ta mystérieuse nature et, par là, te rendre accessible à la mémoire des humains ? Ils sont vite oubliés, ceux-là dont le caractère, à la fois sublime et insaisissable, humilie l’entendement du plus grand nombre ! Quel moyen, pour contraindre la foule à se souvenir, nettement, d’un homme tel que toi ?

« Bientôt, j’en vins à conclure :

« Aucune vulgaire mesure ne pouvant s’appliquer à ta sorte de grandeur, il faudrait ajouter à ton histoire… oui… quelque fait, aussi singulier qu’insignifiant, mais dont la futilité même, s’ajustant au niveau de l’intelligence des multitudes, y imposât, d’ensemble, le rappel de tes exploits !

« Oh ! ce rien, ce trait, sans valeur peut-être, mais précis et familier, fixerait ton nom, dans l’Histoire, d’une manière bien plus indélébile que tes seuls hauts faits ! »