Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/235

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souvenir de nos conventions pendant la vie, pouvez-vous, en ce moment, abaisser, trois fois de suite, la paupière de votre œil droit en maintenant l’autre œil tout grand ouvert ? » — Si, à ce moment, quelles que soient les autres contractions du faciès, vous pouvez, par ce triple clin-d’œil, m’avertir que vous m’avez entendu et compris, et me le prouver en impressionnant ainsi, par un acte de mémoire et de volonté permanentes, votre muscle palpébral, votre nerf zygomatique et votre conjonctive — en dominant toute l’horreur, toute la houle des autres impressions de votre être — ce fait suffira pour illuminer la Science, révolutionner nos convictions. Et je saurai, n’en doutez pas, le notifier de manière à ce que, dans l’avenir, vous laissiez moins la mémoire d’un criminel que celle d’un héros.

À ces insolites paroles, M. de La Pommerais parut frappé d’un saisissement si profond que, les pupilles dilatées et fixées sur le chirurgien, il demeura, pendant une minute, silencieux et comme pétrifié. — Puis, sans mot dire, il se leva, fit quelques pas, très pensif, et, bientôt, secouant tristement la tête :

— L’horrible violence du coup me jettera hors de moi-même. Réaliser ceci me paraît au-dessus de tout vouloir, de tout effort humain ! dit-il. D’ailleurs, on dit que les chances de vitalité ne sont pas les mêmes pour tous les guillotinés. Cependant… revenez, monsieur, le matin de l’exécution. Je vous répondrai si je me prête, ou non, à cette tentative