Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/279

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prophétie populaire du pays secouait, comme une torche, au fond de leurs mémoires, sa flamme superstitieuse : « Le jour où d’autres peuples verraient chez eux un éléphant blanc de la Birmanie, l’Empire serait perdu. » Le coup résolu leur parut donc, en ce moment, si dangereux et de risques si sombres, que, tout bas-de-cuirs qu’ils fussent, ils convinrent de se faire mutuellement l’aumône d’une prompte mort, au cas où ils seraient découverts et cernés, afin de ne pas tomber vivants entre les mains cruelles des talapoins de la Sacrificature. D’ailleurs, ayant enduit d’huile minérale plusieurs des arbres environnants, ils étaient parés pour mettre le feu dans les bois à la première alerte.

Sur le minuit, la psalmodie monotone du mahout s’éleva, d’abord lointaine, puis, s’approchant scandée par les pas massifs de la monture. Bientôt l’homme et la majestueuse bête apparurent, se dirigeant vers le fleuve. Mayëris, qui, jusqu’alors, s’était tenu adossé sous l’ombre d’un baobab, s’avança de quelques pas dans la clairière. La rencontre du dompteur, accoutumée en ce lieu solitaire, ne pouvait éveiller aucune défiance : qui donc eût osé rêver l’effrayante extravagance qu’il méditait ? Ayant échangé avec le diseur de prières un bon souhait nocturne, il vint auprès de l’animal qu’il flatta de la main, tout en faisant remarquer au mahout la beauté du ciel.

Au moment où l’éléphant se penchait vers le fleuve, l’un des chasseurs, se dressant dans les hautes