Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/335

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amment sa soutane. — À ma gauche, gazouillait une jeune chanoinesse de la cour d’Autriche douée d’un petit nez retroussé — très en vogue, paraît-il — mais, en revanche, d’une de ces vertus austères qui l’avait fait surnommer sainte Roxelane.

Autour de la table courait madame Olga de Janina, la fantasque tireuse d’armes ; nous étions entre artistes, on faisait petite ville.

À ma droite, se voûtait un chambellan du tzar, quinquagénaire de six pieds passés, le comte Phëdro, célèbre original. En deux ou trois plaisanteries, nous fîmes connaissance.

Ancien Polonais revenu à des idées plus pratiques, ce courtisan jouissait d’un sourire grâce auquel s’éclairaient toutes questions difficiles. J’appris, plus tard, que sa charge était une sorte de sinécure créée, à son usage, par la gracieuseté de l’Empereur. — Ah ! l’étrange passant ! Sa mise, toujours d’une élégance négligée, était sommée d’un légendaire chapeau bossué — n’est-ce pas incroyable ? — comme celui de Robert-Macaire, et affectant la forme indécise d’un bolivar d’ivrogne après vingt chutes. Il y tenait ! L’on eût dit le point saillant de sa personnalité, aux angles un peu effacés d’ailleurs. Somme toute, causeur affable, très connaisseur, très répandu. Je ne le traite à la légère, ici, que grâce à une impression dont je voudrais, en vain, me défendre.

— Vous précédez Sa Majesté ? lui demandai-je avec une surprise naïve.