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Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/345

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ne passât sur un front, ne fût-ce que sur celui d’un songeur inconnu !

Au bout de peu d’instants, l’Empereur revint sur ses pas, dans l’allée, sous le feu de toutes ces prunelles d’oiseaux occultes dont il semblait passer, sans le savoir, la sinistre revue. Bientôt je sentis qu’il frôlait le banc où j’étais étendu.

Il s’éloignait vers la clairière, y reparut en pleine clarté, puis, au détour d’une avenue, là-bas, disparut subitement.

Demain, lorsque, dans Moscou, d’innombrables voix, entonnant le « Bogë Tzara Harni » scandé par le feu des puissants canons de la capitale religieuse de l’Empire, et alterné par les lourdes cloches du Kremlin, annonceront au monde le sacre du jeune successeur d’Alexandre II, — le songeur du parc de Weimar se souviendra, lui, du solitaire marcheur dont les pas sonnèrent ainsi, une nuit, à son oreille ! — Il se rappellera le promeneur qui écartait, d’un geste fatigué, les branches qui gênaient sa vue et ses pensées — il évoquera la haute figure du prédécesseur qui passa, dans l’ombre, — alors qu’autour de ce tzar, aussi l’épiant et l’observant en silence, d’obliques regards se multipliaient, menaçant son front morose et dédaigneux.