Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/44

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ce bon vin chaud… tout prêt déjà, qu’on eût dit !… — C’est égal, ces pauvres vieux, tout de même ! Ça serre le cœur d’y songer !

— Tu sais, murmura la Basquaise, je les regrette moins, moi : je les connus que j’étais enfant ; ils me payaient mal mes écrus, mes fines cordes : trois sous, cinq sous, — et ils rechignaient ; — la vieille ricanait de me voir belle… et puis, ce qu’elle essayait de me calomnier, de son vilain coin de bouche ! Et jamais rien aux pauvres ! — Aussi, puisqu’on est tous mortels… À quoi qu’ils servaient, ces vieux avaricieux-là ? Nous eussions brûlé, nous, qu’ils eussent dit c’est bien fait ! Et… de même, à peu près, des autres ! — N’y pense donc plus ! — Tiens, voici la chaumine Desjoncherêts : celle-là flambait dur, est-ce pas ? Ce fut à celle-là que tu m’as embrassée après, chez nous, pour la première fois. Tu avais sauvé le petit ; tu t’en étais donné, de la peine ! Ah ! je t’admirais ! Tu étais très beau, je te dis, sous ton casque aux reflets tout rouges!… Ce baiser-là, vois-tu, — si tu savais !

Elle étendit encore sa main tranquille au dehors : l’alliance brilla sous un rais d’astre : — elle reprit :

— Puis, à celle-là, tiens, nous nous fiançâmes ; — puis, à celle-là, je fus à toi, dans la grange ; et ce fut à celle-ci que tu gagnas, enfin, la rude et chère blessure, mon Pier !… Aussi, j’aime à regarder ces trous sombres : nous leur devons notre joie, ta bonne place de garde-chef, notre mariage,