Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/45

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et cette maisonnette… où est né notre enfant !

— Oui, murmura Pier Albrun devenu pensif : cela prouve que Dieu tire le bien du mal… Mais, va, si je tenais, tout de même, au bout de ma carabine, le trio de scélérats…

Elle se détourna, les yeux graves ; ses sourcils contractés se touchèrent, formant une ligne noire.

— Tais-toi, Pier, dit-elle. Est-ce donc à nous de maudire les mains qui ont mis le feu ! Nous leur devons, te dis-je, jusqu’à cette croix que tu serres en ton poing. Réfléchis donc un peu, mon cher Pier : la ville seule, tu le sais bien, a une caserne pour ses incendies, pour ceux des faubourgs et des trois villages : Prades et Céret sont trop loin. Toi, pauvre sergent des pompiers, toujours sur le qui-vive, interné, sans congé possible, dans la caserne, devant tenir, constamment, prêts à toute alarme, tes hommes, tu ne pouvais sortir de cette prison que pour ton service ! Une seule absence pouvait t’enlever ta paye et ton grade ! — Il vous fallait une heure, rien que pour venir ici, quand ça brûlait !… Moi, je tressais mon chanvre, à cinq sous par jour, à Ypinx, avec la tremblante vieille sur les bras… et, l’hiver, c’était dur ! Comment aller vivre à la ville sans m’y vendre un peu, comme les autres ? — et tu comprends, toi, mon seul homme ! que ça ne se pouvait pas ! — Donc, sans tous ces beaux sinistres, je tordrais encore mes cordes, dans les ruelles, au village, et toi, tu trimerais encore dans le feu : — nous ne nous serions jamais revus, ni parlé, ni assortis. Or, je