Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/83

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bas, au nord de France, puisqu’enfin c’est la patrie ! Elle est enclose des murs verdoyants d’un grand jardin, formé d’une pelouse, tout en fleurs, au centre de laquelle, entre des saules et de grises statues, retombe, en un bassin de marbre, l’élancée fusée de neige d’un jet d’eau.

Deux latérales allées de très hauts arbres obscurs se prolongent solidairement. La solennité, le silence de cette habitation sont doux et inquiétants comme le crépuscule. Là, c’est un tel isolement des choses ! — Un rayon de l’Occident, sur les fenêtres — empourprées tout à coup — de la blanche façade, — la chute d’une feuille qui, de la voûte d’une allée, tombe, en tournoyant, sur le sable, — ou quelque refrain de pêcheur, au loin, — ou telle fuite plus rapide des nuages de mer, — ou la senteur, soudain plus subtile, d’une touffe de roses mouillées qu’effleure un oiseau perdu, — mille autres incidences, ailleurs imperceptibles, semblent, ici, comme des avertissements tout à fait étranges de la brièveté des jours.

Et, lorsqu’ils en sont témoins, en leurs promenades, les deux exilés ! alors qu’une causerie heureuse unit leurs esprits sous le charme d’un mutuel abandon, voici qu’ils tressaillent, ils ne savent pourquoi ! Pensifs, ils s’arrêtent : le ton joyeux de leurs paroles s’est dissipé !… Qu’ont-ils donc entendu ? Seuls, ils le savent. Ils se pressent, l’un à l’autre, la main, comme troublés d’une sensation mortelle ! Et le visage de la bien-aimée s’appuie, languissamment, sur l’épaule de son ami ! Deux