Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/97

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mœurs qui leur permet de traiter Paris de Babylone, de Gomorrhe et de Capoue, en profitant, tout bas, de cette même licence qu’ils condamnent si haut.

— C’est la qualité de votre libertinage que dédaignent quelques étrangers ! répliqua l’un de ces gentlemen ; et ce n’est que par curiosité qu’un Anglais sérieux effleure, en passant, vos trop futiles plaisirs. Les nôtres, chez nous, sont, vraiment, d’un confort supérieur. — Tenez :

Et, à grands traits, ils se mirent l’un après l’autre à nous esquisser cette organisation, si connue aujourd’hui, de la Traite des vierges : cette exportation, par jour, d’une moyenne de trente à cinquante enfants de huit à treize ans, cette mise en coupe réglée de toute virginité, de toute pudeur humaine. Ils s’étendirent en savantes variations sur le viol et sur les moyens dont on se sert, là-bas, pour l’accomplir commodément, soit en certaines demeures de Londres, soit en certains vieux châteaux anglais perdus dans les brumes. Chambres matelassées, oubliettes perfectionnées, anesthésiques et voitures de sûreté défilèrent sur leurs langues avec une verve sinistre qui eût confondu Anne Radcliffe. C’était par milliers et par milliers qu’ils évoquaient les victimes de l’hypocrite lubricité de leurs compatriotes, et, chose étrange ! ce n’était que cette hypocrisie qui paraissait les indigner.

— Bah ! répondis-je, un peu surpris, — voilà bien les poètes ! Ces abus se passent à Londres