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dans le livre des pensées.

ligion, non pas de l’objet au sujet, mais au contraire du sujet à l’objet.

Cette marche est d’autant plus naturelle, d’autant plus impérieusement prescrite, que la prévention ou l’indifférence de l’homme à l’égard de la religion vient de ce qu’il ne se connaît pas soi-même, tout porté qu’il est à s’occuper de soi-même. Profitez de cet intérêt si naturel pour l’entretenir de son propre être, et lui révéler sur sa propre nature, sur sa condition, des choses qu’il ignore, ou qu’il oublie, ou qu’il ne voit pas dans l’ensemble qui fait leur importance et leur valeur.

L’écrivain s’arrête d’abord à la considération la plus générale de l’homme ; il le contemple comparé à l’univers, et nous le montre balancé entre deux infinis, soit pour le corps, soit pour l’esprit. (I, iv, 4.)

Mais ce qui nous caractérise, ce n’est pas d’avoir une place déterminée dans l’univers : chaque être a la sienne ; mais de sentir que nous ne sommes pas à notre place, et d’aspirer, par des élans continuels et infatigables, à un bonheur, à une lumière, dont nous ne nous faisons pas même une idée ; de vivre toujours attendant ou regrettant ; de vivre dans le passé ou dans l’avenir, jamais dans le présent, alors même que le présent est matériellement heureux. « Nos misères sont misères de grand seigneur, misères d’un roi dépossédé. » — « L’homme est grand parce qu’il se connaît misérable. » — « Malgré la vue de toutes nos misères qui nous touchent et qui nous tiennent à la gorge, nous avons