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autres Français, quelle confiance n’avons-nous point dans notre génie, dans notre perspicacité, qui, selon nous, nous dispensent d’apprendre ! Sous ce point de vue, notre infériorité est flagrante. Rappelons-nous Canning et son flot d’éloquence classique. Canning au parlement citait Homère en grec et même il était compris. Chez nous, la basse démocratie (pour moi il y a deux sortes de démocratie) conspue le savoir, et nos gouvernants ne savent pas l’employer. Soyez homme politique, chef de parti, ministre, et l’on vous pardonnera de n’être qu’un ignorant. Où est Ancône ? demandait avec inquiétude Casimir Périer, à la veille d’y envoyer des troupes. On raconte qu’un jeune ministre félicitait un jour M. Jules Sandeau du magnifique talent de sa mère. Il n’y a pas bien longtemps un tribun souvent acclamé par la foule, mais moins instruit qu’éloquent (voir le Bulletin de la république, à Bordeaux), accusait Louis XIV d’avoir placé sur le trône d’Espagne… un Prussien !

Elle est partout, cette ignorance épaisse. Je me souviens d’un vieil artiste (il était, je n’ose le dire, de l’Institut), qui croyait que le coton venait d’un ver. C’était cependant un homme de mérite, mais placé sous l’empire d’un préjugé, malheureusement trop répandu dans les ateliers, que le savoir nuit au talent. On appelle cela ne point se disperser. Que la magistrature me le pardonne, elle aussi plonge dans ces ténèbres. Hélas ! me disait un célèbre avocat-général : « Que savent messieurs de la cour, en dehors du code ? Rien ! » Serait-ce aussi pour ne pas se disperser ?

Savoir son code, rien que son code, tel est le mot de la situation. Les gens de lettres exceptés, et quelques