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esprits hors ligne, en France, chacun ne sait que son code, c’est-à-dire n’y possède que la somme d’instruction nécessaire pour exercer sa profession. J’exceptais les gens de lettres, erreur. Nous les connaissons, ces écrivains, délices des cabinets de lecture, fabricants de romans historiques ; tous les jours ils nous prouvent qu’ils n’ont jamais lu que leurs écrits. Au train dont nous allons, l’espèce de ceux qui aiment à donner de l’espace à leur esprit deviendra une espèce rare.

Un fin connaisseur remarquait un jour que Montesquieu savait faire dire aux petites phrases de grandes choses. Nos grandes phrases ne disent que de petites choses. Et dans quel temps, bon Dieu ! se permet-on ce langage emphatique, oriental ? Justement au moment même où la fortune de la France s’amoindrit. D’où vient cette fausse rhétorique qui agace les gens de goût et qui à l’étranger prête à rire à nos dépens ? Du vide d’idées. Nous ne pensons pas ou nous pensons mal, parce que nous ne savons rien ou presque rien. « La direction de l’ignorance, a dit une femme de génie, c’est ce qu’il y a de plus redoutable, car aucun livre ne fait de mal à celui qui les lit tous. » Le sens droit, la fermeté de jugement, ces dons que l’étude prend en germe, qu’elle développe et fortifie beaucoup plus qu’on ne le croit, ne sont point assez communs pour que les intelligences ordinaires puissent se permettre l’ignorance. Les paresseux ont beau soutenir le contraire, la passion ou l’intérêt ont plus de prise sur l’ignorant peu accoutumé à se mouvoir dans la sphère des idées. D’ordinaire, c’est par le mauvais côté qu’il prend les questions : de là tant d’idées aussi sottes que dangereuses,