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peuple, tout nous ramène à cela. L’instruction supérieure touche donc de très-près au premier, au plus urgent de nos problèmes politiques.

Plus tard, on reprendra la question dans son ensemble, et je compte bien être de cette bataille. En ce moment je vais au plus facile, — et ce n’est pas le moins pressé : — je voudrais tenter d’organiser en France l’instruction libérale supérieure.

L’instruction libérale existe dans notre pays (j’entends par là l’instruction générale que reçoivent nos classes moyennes), mais il lui manque un couronnement et une fin : vous le savez comme moi. Le collége donne l’enseignement élémentaire ; il forme des hommes qui savent leur langue, un peu de latin, quelques dates. Les hautes Écoles spéciales, celles de droit et de médecine, l’École polytechnique et l’École normale forment des capacités purement professionnelles. La Sorbonne et le Collége de France forment des hommes d’un esprit orné, des causeurs. Mais l’homme instruit, observateur sagace des grands mouvements d’esprit de son siècle, capable de les modérer ou de les seconder ; mais le citoyen éclairé, juge compétent des questions politiques, capable de les discuter solidement et de diriger l’opinion, d’où sortent-ils ? où est l’École qui les prépare ? Les esprits de cette valeur qu’on rencontre çà et là dans le monde se sont faits eux-mêmes, comme ils l’ont pu, par des moyens qu’ils ont créés de toutes pièces. Ils sont « les dons du hasard », et le hasard ne les prodigue pas. Cette classe moyenne de l’intelligence, qui est la force et le lien d’une société, manque presque complétement en France.