Page:Vinet - Boutmy - Quelques idées sur la création d'une faculté libre d'enseignement supérieur.djvu/7

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 7 —

Lacune funeste ! Une nation tombe chaque jour plus bas, quand les savants n’ont pas d’autres auditeurs que les hommes spéciaux, quand l’homme d’État ne trouve d’auxiliaires entendus que chez les gens en place, de critiques compétents que chez les candidats qui convoitent la sienne. Pourquoi les grandes œuvres d’érudition, de science et d’art, n’ont-elles jamais pu se faire en France sans l’appui de l’État ? — C’est qu’en dehors des hommes spéciaux, personne n’est en mesure d’en comprendre la valeur et de s’y intéresser. Pourquoi le gouvernement de l’opinion appartient-il au journalisme frivole autant et plus qu’au journalisme sérieux ? C’est que les hommes qui pourraient apprécier la presse éclairée, la mettre à son rang, sont en trop petit nombre pour la faire vivre. Entre autres choses très-nécessaires, il a manqué à la France d’avoir su faire essaimer tous les ans deux ou trois cents esprits hautement cultivés, qui, mêlés dans la masse, y auraient maintenu le respect du savoir, l’attitude sérieuse des intelligences et l’habitude saine de faire difficilement les choses difficiles. Le parti de ceux qui jugent sans étude et décident de tout (hélas ! ils n’étaient que gentilshommes du temps de Molière, ils règnent aujourd’hui) en aurait reçu un coup mortel.

Je crois donc, mon cher ami, signaler à la fois un mal sérieux et son remède, quand je dis : « la haute instruction libérale n’existe pas en France ; il faut l’organiser. »

Comment l’organiser ? Est-ce en adressant sous pli au ministre compétent un projet voué d’avance aux cartons et à l’oubli ? Non certes. Commençons, — il n’est que temps, — à faire nos affaires nous-mêmes. D’ailleurs il n’appartient pas plus à l’État de faire des