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[christ]
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Cette tête est d’autant plus remarquable que toutes celles appartenant aux statues d’apôtres qui l’avoisinent, et qui ont été exécutées en même temps, sont loin de présenter cette noblesse divine. Ce sont des hommes, des portraits même, dans la plupart desquels on retrouve le type picard. L’artiste qui a exécuté la figure du Christ a donc suivi un type consacré, et, avec la souplesse de talent qui appartenait aux sculpteurs de cette époque, il a su distinguer, entre toutes, la statue du Sauveur, lui donner des traits, une physionomie au-dessus des modèles humains dont il pouvait disposer. Mais la limite entre l’art hiératique et l’art d’imitation est, chez tous les peuples artistes, facile à franchir ; on ne s’y tient pas longtemps. Les Grecs de l’antiquité l’ont franchie en quelques années ; il en fut de même en France. Déjà, vers le milieu du XIIIe siècle, les représentations du Christ ont perdu cette noblesse surhumaine ; les sculpteurs s’attachent à l’imitation de la nature, perdent de vue le type primitif, font du fils de Dieu un bel homme, au regard doux, à la bouche souriante, à la barbe soigneusement frisée et aux cheveux bouclés, aux membres grêles et à la pose maniérée. Au XIVe siècle, ces défauts, à notre avis du moins, tombent dans l’exagération, et les dernières traditions se perdent dans la recherche des détails, dans une exécution précieuse et une certaine grâce affectée. Il faut dire encore qu’à partir de la fin du XIIIe siècle les grandes figures du Christ-Homme ou triomphant posées sur les portails des églises deviennent rares. Les sculpteurs semblent donner la place principale à la sainte Vierge, et le Christ est relégué dans les sujets légendaires, ou, s’il apparaît en triomphateur, ses dimensions ne dépassent guère celles des autres personnages. On le représente en buste, sortant des nuées, au sommet d’un tympan ou dans une clef des voussures, tandis que la représentation de la vierge Marie occupe, jusqu’au XVIe siècle, une place principale (voy. Vierge). Les types du Sauveur se perdant à la fin du XIIIe siècle, nous n’avons pas à nous en occuper ici ; ces figures rentrent dans la statuaire. Pour le Christ crucifié, nous renvoyons nos lecteurs au mot Crucifix. La peinture suit les mêmes phases que la sculpture quant à la représentation de Jésus-Christ, plus lentement il est vrai, cet art étant, pendant le moyen âge en France, en retard d’un demi-siècle sur la sculpture. Mais, à la fin du XIIIe siècle, les traditions byzantines sont, en peinture, de même qu’en sculpture, complétement abandonnées. En Italie, on les voit persister plus longtemps, et les Christ de Giotto, d’Orcagna, de Buffalmacco, de Simon Memmi, conservent encore quelque chose du type primitif. Ce respect pour une forme ancienne va beaucoup plus loin chez les Italiens ; nous en retrouvons la trace chez des peintres de la renaissance, qui n’avaient rien conservé cependant de l’art hiératique de Cimabué et de ses prédécesseurs. Titien a su donner à ses figures du Christ ce calme, cette noblesse, cette grandeur, cette physionomie en dehors de l’humanité que nous admirons dans nos belles statues du XIIe siècle, et du commencement du XIIIe, ce qui n’a pas empêché ce grand