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vainqueurs et de vaincus, de Francs et de Gallo-Romains. Elles contribuaient à former une nationalité liée par des intérêts communs, par des engagements pris de part et d’autre. Le pouvoir royal abandonnait le rôle de chef d’une caste de conquérants pour devenir royauté nationale destinée à protéger toutes les classes de citoyens sans distinction de race ou d’état. Il commençait à agir directement sur les populations sans intermédiaires non-seulement dans le domaine royal, mais au milieu des possessions de ses grands vassaux. « Un seigneur qui octroyait ou vendait une charte de commune se faisait prêter serment de fidélité par les habitants ; de son côté il jurait de maintenir leurs libertés et franchises ; plusieurs gentils-hommes se rendaient garants de sa foi, s’obligeant à se remettre entre les mains des habitants si leur seigneur lige violait quelques-uns de leurs droits, et à rester prisonniers jusqu’à ce qu’il leur eût fait justice. Le roi intervenait toujours dans ces traités, pour confirmer les chartes, et pour les garantir. On ne pouvait faire de commune sans son consentement, et de là toutes les villes de commune furent réputées être en la seigneurie du roi ; il les appelait ses bonnes villes, titre qu’on trouve employé dans les ordonnances, dès l’année 1226. Par la suite on voulut que leurs officiers reconnussent tenir leurs charges du roi, non à droit de suzeraineté et comme seigneur, mais à droit de souveraineté et comme roi[1]. »

Cette marche n’a pas la régularité d’un système suivi avec persévérance. Beaucoup de seigneurs voulaient reprendre par la force ces chartes vendues dans un moment de détresse, mais l’intervention royale penchait du côté des communes, car ces institutions ne pouvaient qu’abaisser la puissance des grands vassaux. La lutte entre le clergé et la noblesse féodale subsistait toujours, et les seigneurs séculiers établirent souvent des communes dans la seule vue d’entraver la puissance des évêques. Tous les pouvoirs de l’État, au XIIe siècle, tendaient donc à faire renaître cette prépondérance populaire du pays, étouffée pendant plusieurs siècles. Avec la conscience de sa force, le tiers état reprenait le sentiment de sa dignité, lui seul d’ailleurs renfermait encore dans son sein les traditions et certaines pratiques de l’administration romaine ; « des chartes de communes des XIIe et XIIIe siècles semblent n’être qu’une confirmation de privilèges subsistants[2]. » Quelques villes du midi, sous l’influence d’un régime féodal moins morcelé et plus libéral par conséquent, telles que Toulouse, Bordeaux, Périgueux, Marseille, avaient conservé à peu près intactes leurs institutions municipales ; les villes riches et populeuses de Flandre, dès le Xe siècle, étaient la plupart affranchies. L’esprit d’ordre est toujours la conséquence du travail et de la richesse acquise par l’industrie et le commerce. Il est intéressant de voir en face de l’anarchie du système féodal, ces organisations naissantes des communes, sortes de petites républiques qui pos-

  1. Hist. des communes de France, par M. le baron C. F. E, Dupin. Paris, 1834.
  2. Ibid.