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sèdent leurs rouages administratifs, imparfaits, grossiers d’abord, puis présentant déjà, pendant le XIIIe siècle, toutes les garanties de véritables constitutions. Les arts, comme l’industrie et le commerce, se développaient rapidement dans ces centres de liberté relative, les corporations de métiers réunissaient dans leur sein tous les gens capables, et ce qui plus tard devint un monopole gênant était alors un foyer de lumières. L’influence des établissements monastiques dans les arts de l’architecture ne pouvait être combattue que par des corporations de gens de métiers qui présentaient toutes les garanties d’ordre et de discipline que l’on trouvait dans les monastères, avec le mobile puissant de l’émulation, et l’esprit séculier de plus. Des centres comme Cluny, lorsqu’ils envoyaient leurs moines cimenteurs pour bâtir un prieuré dans un lieu plus ou moins éloigné de l’abbaye mère, l’expédiaient avec des programmes arrêtés, des recettes admises, des poncifs (qu’on nous passe le mot), dont ces architectes clercs ne pouvaient et ne devaient s’écarter. L’architecture soumise ainsi à un régime théocratique, non-seulement n’admettait pas de dispositions nouvelles, mais reproduisait à peu près partout les mêmes formes, sans tenter de progresser. Mais quand, à côté de ces écoles cléricales, il se fut élevé des corporations laïques, ces dernières, possédées de l’esprit novateur qui tient à la civilisation moderne, l’emportèrent bientôt même dans l’esprit du clergé catholique, qui, rendons-lui cette justice, ne repoussa jamais les progrès de quelque côté qu’ils lui vinssent, surtout quand ces progrès ne devaient tendre qu’à donner plus de pompe et d’éclat aux cérémonies du culte. Toutefois l’influence de l’esprit laïque fut lente à se faire sentir dans les constructions monastiques, et cela se conçoit, tandis qu’elle apparaît presque subitement dans les édifices élevés par les évêques, tels que les cathédrales, les évêchés, dans les châteaux féodaux et les bâtiments municipaux. À cette époque le haut clergé était trop éclairé, trop en contact avec les puissants du siècle pour ne pas sentir tout le parti que l’on pouvait tirer du génie novateur et hardi qui allait diriger les architectes laïques ; il s’en empara avec cette intelligence des choses du temps qui le caractérisait, et devint son plus puissant promoteur.

Au XIIe siècle le clergé n’avait pas à prendre les armes spirituelles seulement contre l’esprit de désordre des grands et leurs excès, il se formait à côté de lui un enseignement rival, ayant la prétention d’être aussi orthodoxe que le sien, mais voulant que la foi s’appuyât sur le rationalisme. Nous avons dit déjà que les esprits d’élite réfugiés dans ces grands établissements religieux étudiaient, commentaient et revoyaient avec soin les manuscrits des auteurs païens, des Pères ou des philosophes chrétiens rassemblés dans les bibliothèques des couvents, il est difficile de savoir si les hommes tels que Lanfranc et saint Anselme pouvaient lire les auteurs grecs, mais il est certain qu’ils connaissaient les traductions et les commentaires d’Aristote, attribués à Boëce, et que les opinions de Platon étaient parvenues jusqu’à eux. Les ouvrages de saint Anselme, en étant toujours empreints de cette pureté et de cette humilité de cœur qui lui sont natu-