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la nation gallo-romaine, ils sont comme le reflet de son esprit, de ses tendances, de son génie particulier ; nous avons vu comme ils naissent en dehors des classes privilégiées en même temps que les premières institutions politiques conquises par les populations urbaines. Les arts de la Renaissance vont découler d’une tout autre source ; patronnés par les grands, par les classes lettrées de la société française, ils trouveront longtemps une opposition soit dans le sein du clergé régulier, soit parmi les classes bourgeoises. Nous allons examiner comment ils vinrent s’appuyer sur la Réformation pour s’introduire définitivement sur le vieux sol gallo-romain.

Vers 1483 naissait, dans un petit village du comté de Mansfeld, Martin Luther ; mais d’abord jetons les yeux un instant sur la situation du haut clergé à la fin du XVe siècle. Quelques années plus tard Léon X disait : « Maintenant, vivons en paix, la hache ne frappe plus l’arbre au pied, elle ne fait qu’en émonder les branches. » En effet, la papauté se reposant après de si longs et glorieux combats, brillait alors d’un éclat que rien ne semblait devoir ternir, elle régnait sur le monde chrétien autant par la puissance morale qu’elle avait si laborieusement acquise, que par le développement extraordinaire qu’elle avait su donner aux arts et aux lettres. Rome était devenue le centre de toute lumière, de tout progrès. La cour papale, composée d’érudits, de savants, de poëtes, entourée d’une auréole d’artistes, attirait les regards de l’Europe entière.

En Allemagne et en France les évêques étaient possesseurs de pouvoirs féodaux plus ou moins étendus, tout comme les seigneurs séculiers. Les grands établissements religieux, après avoir longtemps rendu d’immenses services à la civilisation, après avoir défriché les terres incultes, établi des usines, assaini les marais, propagé et conservé l’étude des lettres antiques et chrétiennes, lutté contre l’esprit désordonné de la féodalité séculière, offert un refuge à tous les maux physiques et moraux de l’humanité, trouvaient enfin un repos qu’on allait bientôt leur faire payer cher. En Germanie le pouvoir souverain était divisé entre un grand nombre d’électeurs ecclésiastiques et laïques, de marquis, de ducs, de comtes qui ne relevaient que de l’empereur. La portion séculière de cette noblesse souveraine n’acquittait qu’avec répugnance les subsides dus au Saint-Siège ; obligée à une représentation qui n’était pas en rapport avec ses revenus, elle avait sans cesse besoin d’argent ; lorsqu’en 1517 Léon X publia des indulgences qu’il permit de prêcher en Allemagne, d’abondantes aumônes qui devaient contribuer à l’achèvement de la grande église de Saint-Pierre de Rome furent réunies par les prédicateurs, tandis que les princes trouvaient les portes fermées lorsqu’ils envoyaient les collecteurs percevoir les impôts. C’est alors qu’un pauvre moine augustin attaque les indulgences dans la chaire à Wittemberg ; immédiatement la lutte s’engage avec le Saint-Siège, lutte ardente pleine de passion de la part du moine saxon, qui se sentait soutenu par toute la noblesse d’Allemagne, pleine de modération et de calme de la part des pontifes romains. Ce pauvre moine était Martin Luther. Bientôt l’Allemagne fut en feu. Luther triomphait ; la sécularisation