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des cellules indique clairement quelles étaient les habitudes claustrales des chartreux. A est la galerie du cloître ; B un premier couloir qui isole le religieux du bruit ou du mouvement du cloître ; K un petit portique qui permet au prieur de voir l’intérieur du jardin, et d’approvisionner le chartreux de bois ou d’autres objets nécessaires déposés en L, sans entrer dans la cellule ; C une première salle chauffée ; D la cellule avec son lit et trois meubles : un banc, une table et une bibliothèque ; F le promenoir couvert, avec des latrines à l’extrémité ; H le jardin ; I le tour dans lequel on dépose la nourriture ; ce tour est construit de manière que le religieux ne peut voir ce qui se passe dans la galerie du cloître. Un petit escalier construit dans le couloir B donnait accès dans les combles soit pour la surveillance, soit pour les réparations nécessaires. Ces dispositions se retrouvent à peu près les mêmes dans tous les couvents de chartreux répandus sur le sol de l’Europe occidentale.

Nous ne finirons pas cet article sans transcrire le singulier programme de l’abbaye de Thélème, donné par Rabelais, parodiant, au XVIe siècle, ces grandes fondations du moyen âge. Cette bouffonnerie, au fond de laquelle on trouve un côté sérieux, comme dans tout ce qu’a laissé cet admirable écrivain, dévoile la tendance des esprits à cette époque, en fait d’architecture, et combien on respectait peu ces institutions qui avaient rendu tant de services. Ce programme rentre d’ailleurs dans notre sujet en ce qu’il présente un singulier mélange de traditions monastiques, et de dispositions empruntées aux châteaux élevés pendant les premiers temps de la renaissance. Après une conversation burlesque entre frère Jean et Gargantua, celui-ci se décide à fonder une abbaye d’hommes et de femmes, de laquelle on pourra sortir quand bon semblera. Donc : « Pour le bastiment et assortiment de l’abbaye, Gargantua feit livrer de content vingt et sept cens mille huict cens trente et ung moutons à la grand laine, et, par chascun an, jusques à ce que le tout feust parfaict, assigna, sur la recepte de la Dive, seize cens soixante et neuf mille escuz au soleil et autant à l’estoille poussiniere. Pour la fondation et entretenement d’icelle, donna à perpetuité vingt et trois cens soixante neuf mille cinq cens quatorze nobles à la rose, de rente foncière, indemnez, amortys, et soluables par chascun an à la porte de l’abbaye. Et de ce leur passa belles lettres. Le bastiment feut en figure exagone, en telle façon que à chascun angle estoyt bastie une grosse tour ronde, à la capacité de soixante pas en diametre. Et estoyent toutes pareilles en grosseur et portraict. La riviere de la Loire decouloit sus l’aspect du septentrion. Au pied d’icelle estoyt une des tours assise nommée Artice. En tirant vers l’orient estoyt une autre nommée Calaer. L’autre ensuivant Anatole ; l’autre après Mesembrine ; l’autre après Hesperie ; la derniere, Cryere, Entre chascune tour estoyt espace de trois cens douze pas. Le tout basty à six estaiges, comprenent les caves soubz terre pour ung. Le second estoyt voulté à la forme d’une anse de penier. Le reste estoyt embranché de guy de Flandres à forme de culz de lampes. Le dessus couvert d’ardoise