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place devait tomber au pouvoir de l’assiégeant, si nombreux qu’il fût. Avec une garnison déterminée et bien approvisionnée, on pouvait prolonger un siége indéfiniment. Aussi n’est-il pas rare de voir une bicoque résister, pendant des mois entiers, à une armée nombreuse et aguerrie. De là, souvent, cette audace et cette insolence du faible en face du fort et du puissant, cette habitude de la résistance individuelle qui faisait le fond du caractère de la féodalité, cette énergie qui a produit de si grandes choses au milieu de tant d’abus, qui a permis aux populations françaises et anglo-normandes de se relever après des revers terribles, et de fonder des nationalités fortement constituées.

Rien n’est plus propre à faire ressortir les différences profondes qui séparent les caractères des hommes de ces temps reculés, de l’esprit de notre époque, que d’établir une comparaison entre une ville ou un château fortifiés aux XIIIe ou XIVe siècles et une place forte moderne. Dans cette dernière rien ne frappe la vue, tout est en apparence uniforme, il est difficile de reconnaître un bastion entre tous. Un corps d’armée prend une ville, à peine si les assiégeants ont aperçu les défenseurs ; ils n’ont vu devant eux pendant des semaines entières que des talus de terre et un peu de fumée. La brèche est praticable ; on capitule ; tout tombe le même jour ; on a abattu un pan de mur, bouleversé un peu de terre, et la ville, les bastions qui n’ont même pas vu la fumée des canons, les magasins, arsenaux, tout est rendu. Mais il y a quelque cent ans les choses se passaient bien différemment. Si une garnison était fidèle, aguerrie, il fallait, pour ainsi dire, faire capituler chaque tour, traiter avec chaque capitaine, s’il lui plaisait de défendre pied à pied le poste qui lui était confié. Tout du moins était disposé pour que les choses dussent se passer ainsi. On s’habituait à ne compter que sur soi et sur les siens, et l’on se défendait envers et contre tous. Aussi (car on peut conclure du petit au grand) il ne suffisait pas alors de prendre la capitale d’un pays pour que le pays fût à vous. Ce sont des temps de barbarie si l’on veut, mais d’une barbarie pleine d’énergie et de ressources. L’étude de ces grands monuments militaires du moyen âge n’est donc pas seulement curieuse, elle fait connaître des mœurs dans lesquelles l’esprit national ne pourrait que gagner à se retremper.

Nous voyons au commencement du XIIIe siècle les habitants de Toulouse avec quelques seigneurs et leurs chevaliers, dans une ville mal fermée, tenir en échec l’armée du puissant comte de Montfort et la forcer de lever le siége. Bien mieux encore que les villes, les grands vassaux, renfermés dans leurs châteaux, croyaient-ils pouvoir résister non-seulement à leurs rivaux, mais au suzerain et à ses armées. « Le caractère propre, général de la féodalité, dit M. Guizot, c’est le démembrement du peuple et du pouvoir en une multitude de petits peuples et de petits souverains ; l’absence de

    est partagée par des personnages compétents), s’il n’y a, dans la forme de la fortification du moyen âge, rien qui soit bon à prendre aujourd’hui, en face des moyens puissants de l’artillerie, il n’en est pas de même dans son esprit et dans son principe.