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le sommet de la porte Saint-Antoine, en B les murailles de la ville ; en C le pont de la Bastille jeté en face la rue Saint-Antoine, et en D un gros ouvrage en terre intitulé, sur la tapisserie en question, le bastillon, ouvrage qui datait probablement de la fin du XVe siècle. Ce bastillon est un cavalier assez élevé commandant les dehors et flanquant les vieilles murailles de Charles V. Dans le même plan déposé à l’hôtel de ville, on voit un gros bastillon à peu près semblable à celui-ci, construit à côté et en dehors de la porte du Temple. Mais nous reviendrons tout à l’heure sur ces sortes d’ouvrages.

Pendant les XIVe et XVe siècles il est fort souvent question de bastilles en terre, en pierres sèches ou en bois élevées par des armées pour protéger leurs camps et battre des murailles investies, pour couper les communications ou tenir la campagne. Les Anglo-Normands paraissent surtout avoir adopté ce système pendant leurs guerres, et il semblerait même que chez eux cette habitude était venue du nord plutôt que par la tradition romaine. Lors de leurs grandes invasions sur le continent occidental au IXe siècle, les Normands choisissent une île sur un fleuve, un promontoire, un lieu défendu par la nature ; là ils établissent des campements fortifiés par de véritables blockaus, y laissent des garnisons et remontent les fleuves sur leurs bateaux, vont piller le pays, attaquer les villes ouvertes, les monastères, et reviennent déposer leur butin dans ces camps, où parfois ils hivernent. Plus tard, lorsque les Normands établis dans les provinces du nord de la France vont faire la conquête de l’Angleterre, ils couvrent le pays de bastilles ; ils ne se sont pas plus tôt emparé d’une ville ou d’une bourgade, qu’ils y élèvent des ouvrages isolés, des postes militaires solidement construits, au moyen desquels ils maintiennent les habitants. C’est en grande partie à ces précautions, à cette défiance salutaire à la guerre, qu’il faut attribuer le succès incroyable des armées de Guillaume le Conquérant au milieu d’un pays toujours prêt à se soulever, la réussite d’une conquête odieuse aux populations galloises et saxonnes de la Grande-Bretagne. C’est encore à ces moyens que les Anglo-Normands ont recours lorsqu’ils font invasion sur le sol français pendant les XIVe et XVe siècles. Lorsque Édouard assiège Calais, il entoure ses lignes de bastilles ; il en garnit les passages (voy. Architecture Militaire). Quand enfin la ville d’Orléans est investie, en 1428, « le comte de Sallebery y mis des bastilles du côté de la Beausse[1]. » Les bourgeois d’Orléans et la Pucelle à leur tête sont obligés, pour faire lever le siège, d’attaquer ces bastilles et d’y mettre le feu. L’organisation des armées anglo-normandes, leur génie pendant le moyen âge, se prêtaient à ces travaux ; en France, au contraire, la gendarmerie les dédaignait, et l’infanterie, indisciplinée, recrutée de tous côtés, n’en soupçonnait pas l’utilité ; elle eût été d’ailleurs incapable

    garde et S des magasins. Les portes A C F étaient murées depuis longtemps lorsque la Bastille fut démolie.

  1. Alain Chartier, Hist. de Charles VII.