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française est adopté dans les bas-côtés[1]. Autour du sanctuaire, ce n’est plus, comme à Langres, une simple rangée de colonnes qui porte les parties supérieures, mais des colonnes accouplées suivant les rayons de la courbe, et des piles formées de faisceaux de colonnettes. Ce système de colonnes accouplées entre des piles plus fortes, se reproduit dans toute l’œuvre intérieure de la cathédrale de Sens, et s’adapte parfaitement à la combinaison des voûtes dont les diagonales ou arcs ogives comprennent deux travées ; c’est une disposition analogue à celle de la nef de la cathédrale de Noyon, et qui fut généralement adoptée dans les églises de l’Île-de-France de la fin du XIIe siècle. Malheureusement, la cathédrale de Sens subit bientôt de graves modifications ; des reconstructions et adjonctions postérieures à sa construction changèrent profondément ses belles dispositions premières. Pour bien nous rendre compte de l’édifice primitif, il nous faut passer la Manche et aller à Canterbury.

Nous ne possédons aucun renseignement précis sur la fondation de la cathédrale actuelle de Sens, et le nom du maître de l’œuvre qui la conçut nous est inconnu ; on sait seulement que sa construction était en pleine activité sous l’épiscopat de Hugues de Toucy, de 1144 à 1168, dates qui s’accordent parfaitement avec le caractère archéologique du monument. Nos voisins d’outre-mer sont plus soigneux que nous lorsqu’il s’agit de l’histoire de leurs grands monuments du moyen âge. Les documents abondent chez eux, et depuis longtemps ont été recueillis avec soin ; grâce à cet esprit conservateur, nous allons trouver à Canterbury l’histoire de la cathédrale sénonaise.

En 1174, un incendie détruisit le chœur et le sanctuaire de la cathédrale de Canterbury ; l’année suivante, après que les restes de la partie incendiée eurent été dérasés et qu’on eut établi provisoirement les stalles dans l’ancienne nef, on commença le nouveau chœur. L’œuvre fut confiée à un certain Guillaume de Sens[2]. Ce maître de l’œuvre ne quitta l’Angleterre qu’en 1179, à la suite d’une chute qu’il fit sur ses travaux, après avoir élevé la partie antérieure du nouveau chœur et les deux transsepts de l’est[3]. Avant de partir, étant blessé et ne pouvant quitter son lit, Guillaume de

  1. Nous ne parlons pas des voûtes hautes du chœur et de la nef qui, dans la cathédrale de Sens, furent refaites, vers la fin du XIIIe siècle, à la suite d’un incendie.
  2. Il ne faut pas oublier que la cathédrale de Canterbury avait conservé avec la France des relations suivies. Lanfranc, Saint-Anselme, tous deux Lombards, tous deux sortis de l’abbaye du Bec en Normandie, devinrent successivement archevêques de Canterbury, primats d’Angleterre. Saint Thomas Becket demeura longtemps à Pontigny et à Sens ; le trésor de cette cathédrale conserve encore ses vêtements épiscopaux.
  3. La cathédrale de Canterbury est à doubles croisillons ; les croisillons de l’ouest dépendent de la Basilique primitive ; ceux de l’est appartiennent à la construction commencée par Guillaume de Sens (voy. The architectural history of Canterbury cathedral, par le professeur Willis, auquel nous empruntons ce curieux passage, que l’auteur a lui-même extrait de la chronique de Gervase).