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Terre la Normandie, et qu’il réunit à la couronne de France cette belle province, ainsi que l’Anjou, le Maine et la Touraine, avec une partie du Poitou. Peu après, de grands travaux furent entrepris dans la cathédrale de Rouen. La nef, les transsepts et le sanctuaire durent être reconstruits, à la suite d’un incendie, qui, probablement, endommagea gravement l’église du XIIe siècle. Là, comme dans les autres diocèses français, s’élève une cathédrale au commencement du XIIIe siècle, sous l’influence du pouvoir monarchique, et, chose remarquable, à Rouen, les constructions qui paraissent avoir été élevées sous le règne de Philippe-Auguste, c’est-à-dire de 1210 à 1220 environ, appartiennent au style français, tandis que celles qui datent du milieu du XIIIe siècle sont empreintes du style ogival normand. Ce fait curieux, écrit avec plus de netteté encore dans l’église d’Eu, est d’une grande importance pour l’étude de l’histoire de notre architecture nationale.

La Normandie possède, pendant toute la période romane et de transition, c’est-à-dire du XIe au XIIIe siècle, une architecture propre, dont les caractères sont parfaitement tranchés. Dans les édifices élevés pendant ce laps de temps, la disposition des plans, la construction, l’ornementation et les proportions de l’architecture normande, se distinguent entre celles des provinces voisines, l’Île de France, la Picardie, l’Anjou et le Poitou.

Au commencement du XIIIe siècle, lorsque l’architecture ogivale atteint, pour ainsi dire, sa puberté, en sortant de son domaine elle étouffe les écoles provinciales ; si elle respecte parfois certaines traditions, certains usages locaux qui n’ont d’influence que sur la composition générale des plans, elle impose tout ce qui tient à l’art, savoir : les proportions, la construction, les dispositions de détails et la décoration. Cette sorte de tyrannie ne dure pas longtemps, car, de 1220 à 1230, nous voyons l’architecture normande se réveiller et s’emparer du style ogival pour se l’approprier, comme un peuple conquis modifie bientôt une langue imposée, pour en faire un patois. Disons tout de suite, pour ne pas soulever contre nous, non-seulement la Normandie, mais toute l’Angleterre, que le patois ogival de ces contrées a des beautés et des qualités originales qui le mettent au-dessus des autres dérivés, et qui pourraient presque le faire passer pour une langue. Mais nous aurons l’occasion de développer notre pensée à la fin de cet article.

La cathédrale de Rouen, reconstruite au commencement du XIIIe siècle, adopta cependant certaines dispositions qui indiquent une singulière hésitation de la part des architectes, probablement français, qui furent appelés pour exécuter les nouveaux travaux. Dans la nef, le maître de l’œuvre semble avoir voulu figurer une galerie de premier étage, comme dans presque toutes les grandes églises de l’Île de France et du Soissonnais, mais s’être arrêté à moitié chemin, et, au lieu d’une galerie voûtée, avoir fait un simple passage sur des arcs bandés au-dessous des archivoltes des bas-côtés, et pourtournant les piles (voy. Galerie) au moyen de colonnettes portées en encorbellement.