Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 2.djvu/367

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Dans l’église d’Eu, même étrangeté, mais parfaitement expliquée. Le chœur, les transsepts et la dernière travée de la nef de cet édifice furent élevés dès les premières années de la conquête de Philippe-Auguste, c’est-à-dire de 1205 à 1210, en style français parfaitement pur, avec galerie voûtée au premier étage, comme à Notre-Dame de Paris. De 1210 à 1220 environ, interruption ; de 1220 à 1230, reprise des travaux ; la nef est continuée conformément aux dispositions premières, c’est-à-dire que tout est préparé pour recevoir une galerie voûtée de premier étage au-dessus des collatéraux ; mais déjà les tailloirs des chapiteaux et les socles des bases sont circulaires, les ornements et moulures sont devenus normands ; puis, en construisant, on se reprend, on coupe les chapiteaux destinés à recevoir les voûtes formant galerie, on laisse seulement subsister les archivoltes dans le sens de la longueur de la nef entre les piles ; on ne construit pas les voûtes devant servir de sol à la galerie de premier étage, et ce sont les voûtes hautes de cette galerie qui deviennent voûtes des collatéraux ; les fenêtres de cette galerie supprimée et celles du rez-de-chaussée se réunissent, en formant ainsi des baies démesurément longues.

La nef de la cathédrale de Rouen est de quelques années antérieure à celle de l’église d’Eu. A-t-on voulu, dans ce dernier édifice, imiter la disposition adoptée à Rouen, seulement quant à l’effet produit (les sous-archivoltes de la nef de l’église d’Eu étant sans utilité puisqu’on ne peut communiquer de l’un à l’autre, tandis qu’à Rouen ils forment une galerie) ? C’est probable… Quel que fut le motif qui dirigeât l’architecte de la cathédrale de Rouen, toujours est-il que la disposition de sa nef ne fut plus imitée ailleurs en Normandie, et que, dans cette province, dès que l’art ogival se fut affranchi de l’influence française et eut acquis un caractère propre, on ne voit plus de galeries voûtées de premier étage, ni rien qui les rappelle ; un simple triforium couronne les archivoltes des bas-côtés.

La cathédrale de Rouen, rebâtie presque totalement en style ogival français, est terminée, à partir du niveau des voûtes des collatéraux, en style ogival normand. Les quatre tours qui flanquent les transsepts, les fenêtres, les corniches et les balustrades supérieures sont normandes. Mais la nef de la cathédrale de Rouen était, comme toutes les nefs des cathédrales françaises du commencement du XIIIe siècle, dépourvue de chapelles. À la fin de ce siècle, on en construisit entre les contreforts (39), comme à la cathédrale de Paris. En 1302, on commença la reconstruction de la chapelle de la Vierge, située dans l’axe au chevet, en lui donnant de grandes dimensions, à la place de la chapelle du XIIe siècle, qui n’était pas plus grande que les deux autres chapelles absidales encore existantes. Vers cette époque, on refit les deux pignons nord et sud des transsepts (portail de la Calende et portail des Libraires). Ces travaux, du commencement du XIVe siècle, surpassent comme richesse et beauté d’exécution tout ce que nous connaissons en ce genre de cette époque.

Alors, la Normandie possède une école de constructeurs, d’appareilleurs et de sculpteurs, qui égale l’école de l’Île de France.