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de la féodalité ; car, pendant ces guerres funestes, ces troubles et cette fermentation incessants, les seigneurs, reprenant leurs allures de chefs de bandes, vendant tour à tour leurs services à l’un et à l’autre parti, quelquefois aux deux à la fois, regagnèrent cette indépendance, cet esprit d’isolement, de domination sans contrôle, qui, sous les derniers Carlovingiens, les avaient poussés à s’enfermer dans des demeures imprenables pour, de là, se livrer à toutes sortes de méfaits et d’actes d’agression. Après une première crise terrible, la France, sous Charles V, retrouva pendant quelques années le repos et la prospérité. De tous côtés, les seigneurs, instruits sur ce qu’ils pouvaient redouter du peuple par la Jacquerie, et de la prédominance croissante des habitants des cités, songèrent à mettre leurs demeures en état de résister aux soulèvements populaires, aux empiétements de la royauté et aux courses périodiques des ennemis du dehors. Déjà habitués au luxe, à une vie recherchée cependant, les seigneurs qui élevèrent des châteaux, vers la fin du XIVe siècle, modifièrent leurs anciennes résidences, en leur donnant une apparence moins sévère, se plurent à y introduire de la sculpture, à rendre les bâtiments d’habitation plus étendus et plus commodes, à les entourer de jardins et de vergers, en modifiant le système défensif de manière à pouvoir résister plus efficacement à l’agression extérieure avec des garnisons moins nombreuses mais plus aguerries. Sous ce rapport, les châteaux de la fin du XIVe siècle sont fort remarquables, et les crises par lesquelles la féodalité avait dû passer lui avaient fait faire de notables progrès dans l’art de fortifier ses demeures. Ce ne sont plus, comme au XIIe siècle, des enceintes étendues assez basses, flanquées de quelques tours étroites, isolées, protégées par un donjon et ne contenant que des bâtiments de peu de valeur, mais de nobles et spacieux corps de logis adossés à des courtines très-élevées, bien flanqués par des tours rapprochées et formidables, réunies par des chemins de ronde couverts, munis également dans tout leur pourtour de bonnes défenses. Le donjon se fond dans le château ; il n’est plus qu’un corps de logis dominant les autres, dont les œuvres sont plus épaisses et mieux protégées ; le château tout entier devient comme un vaste donjon bâti avec un grand soin dans tous ses détails. Déjà le système de défense isolée perd de son importance ; le seigneur paraît se moins défier de sa garnison, car il s’efforce de la réduire autant que possible et de gagner, par les dispositions défensives d’ensemble, ce qu’il perd en hommes. La nécessité faisait loi ; après les effroyables désordres qui ensanglantèrent la France, et particulièrement les provinces voisines de l’Île de France, vers le milieu du XIVe siècle, après que la Jacquerie eut été étouffée, les campagnes, les villages et même les petits bourgs s’étaient dépeuplés ; les habitants s’étaient réfugiés dans les villes et bourgades fermées. Lorsque le calme fut rétabli, les seigneurs revenant de courses ou des prisons d’Angleterre trouvèrent leurs terres abandonnées, partant leurs revenus réduits à rien. Les villes affranchissaient les paysans, qui s’étaient réfugiés derrière leurs murailles, de la