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À la fin du XIIe siècle, l’esprit monastique était déjà sur son déclin ; il avait rempli sa tâche. Alors l’élément laïque s’était développé dans les villes populeuses ; les évêques et les rois lui offrirent, à leur tour, un point de ralliement en bâtissant les grandes cathédrales (voy. Cathédrale). Autre danger ; il y avait à craindre que la puissance royale, secondée par les évêques, ne soumît cette société à un gouvernement théocratique, immobile comme les anciens gouvernements de l’Égypte. C’est alors que la féodalité prend un rôle politique, peut-être à son insu, mais qu’il n’est pas moins important de reconnaître. Elle se jette entre la royauté et l’influence cléricale, empêchant ces deux pouvoirs de se confondre en un seul, mettant le poids de ses armes tantôt dans l’un des plateaux de la balance, tantôt dans l’autre. Elle opprime le peuple, mais elle le force de vivre ; elle le réveille, elle le frappe ou le seconde, mais l’oblige ainsi à se reconnaître, à se réunir, à défendre ses droits, à les discuter, à en appeler même à la force ; en lui donnant l’habitude de recourir aux tribunaux royaux, elle jette le tiers-état dans l’étude de la jurisprudence ; par ses excès mêmes, elle provoque l’indignation de l’opprimé contre l’oppresseur. L’envie que causent ses priviléges devient un stimulant énergique, un ferment de haine salutaire, car il empêche les classes inférieures d’oublier un instant leur position précaire, et les force à tenter chaque jour de s’en affranchir. Mieux encore, par ses luttes et ses défiances, la féodalité entretient et aiguise l’esprit militaire dans le pays, car elle ne connaît que la puissance des armes ; elle enseigne aux populations urbaines l’art de la fortification ; elle les oblige à se garder ; elle conserve d’ailleurs certains principes d’honneur chevaleresque que rien ne peut effacer, qui relevèrent l’aristocratie pendant les XVIe et XVIIe siècles, et qui pénétrèrent peu à peu jusque dans les plus basses classes de la société.

Il en est de l’éducation des peuples comme de celle des individus, qui, lorsqu’ils sont doués d’un tempérament robuste, apprennent mieux la vie sous des régents fantasques, durs et injustes même, que sous la main indulgente et paternelle de la famille. Sous le règne de Charles VI, la féodalité défendant mal le pays, le trahissant même, se fortifiant mieux que jamais dans les domaines, n’ayant d’autres vues que la satisfaction de son ambition personnelle, dévastant les campagnes et les villes sous le prétexte de nuire à tel ou tel parti, met les armes dans les mains du peuple, et Charles VII trouve des armées.

Si les provinces françaises avaient passé de l’influence monastique sous un régime monarchique absolu, elles eussent eu certainement une jeunesse plus heureuse et tranquille ; leur agglomération sous ce dernier pouvoir eût pu se faire sans secousses violentes, mais auraient-elles éprouvé ce besoin ardent d’union, d’unité nationale qui fait notre force aujourd’hui et qui tend tous les jours à s’accroître ? C’est douteux. La féodalité avait d’ailleurs un avantage immense chez un peuple qui se développait : elle entretenait le sentiment de la responsabilité personnelle, que le pouvoir monarchique absolu tend au contraire à éteindre ; elle habituait chaque