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individu à la lutte ; c’était un régime dur, oppressif, vexatoire, mais sain. Il secondait le pouvoir royal en forçant les populations à s’unir contre les châtelains divisés, à former un corps de nation.

Parmi les lois féodales qui nous paraissent barbares, il en était beaucoup de bonnes et dont nous devons, à nos dépens, reconnaître la sagesse, aujourd’hui que nous les avons détruites. L’inaliénabilité des domaines, les droits de chasse et de pêche entre autres, n’étaient pas seulement avantageux aux seigneurs, ils conservaient de vastes forêts, des étangs nombreux dont le défrichement et l’assèchement deviennent la cause de désastres incalculables pour le territoire, en nous envoyant ces inondations et ces sécheresses périodiques qui commencent à émouvoir les esprits disposés à trouver que tout est pour le mieux dans notre organisation territoriale actuelle. À cet égard, il est bon d’examiner d’un œil non prévenu ces lois remplies de détails minutieux sur la conservation des domaines féodaux. Ces lois sont dictées généralement par la prudence, par le besoin d’empêcher la dilapidation des richesses du sol. Si aujourd’hui, malgré tous les soins des gouvernements armés de lois protectrices, sous une administration pénétrant partout, il est difficile d’empêcher les abus de la division de la propriété, dans quels désordres la culture des campagnes ne serait-elle pas tombée au moyen âge, si la féodalité n’eût pas été intéressée à maintenir ses priviléges de possesseurs de terres, priviléges attaqués avec plus de passion que de réflexion, par un sentiment d’envie plutôt que par l’amour du bien général. Si ces priviléges sont anéantis pour jamais ; s’ils sont contraires au sentiment national, ce que nous reconnaissons ; s’ils ne peuvent trouver place dans notre civilisation moderne, constatons du moins ceci : c’est qu’ils n’étaient pas seulement profitables aux grands propriétaires du sol, mais au sol lui-même, c’est-à-dire au pays. Laissons donc de côté les discours banals des détracteurs attardés de la féodalité renversée, qui ne voient, dans chaque seigneur féodal, qu’un petit tyran tout occupé à creuser des cachots et des oubliettes ; ceux de ses amis qui nous veulent représenter ces barons comme des chevaliers défenseurs de l’opprimé et protecteurs de leurs vassaux, couronnant des rosières, et toujours prêts à monter à cheval pour Dieu et le roi ; mais prenons la féodalité pour ce qu’elle fut en France, un stimulant énergique, un de ces éléments providentiels qui concoururent (aveuglément, peu importe) à la grandeur de notre pays ; respectons les débris de ses demeures, car c’est peut-être à elles que nous devons d’être devenus en Occident la nation la plus unie, celle dont le bras et l’intelligence ont pesé et pèseront longtemps sur les destinées de l’Europe.

Examinons maintenant cette dernière phase, brillante encore, de la demeure féodale, celle qui commence avec le règne de Charles VI.

La situation politique du seigneur s’était modifiée ; il ne pouvait plus compter, comme dans les beaux temps de la féodalité, sur le service de ses hommes des villages et campagnes (ceux-ci ayant manifesté leur haine profonde pour le système féodal) ; il savait que leur concours forcé eût été