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plus dangereux qu’utile ; c’était donc à leurs vassaux directs, aux chevaliers qui tenaient des fiefs dépendant de la seigneurie et à des hommes faisant métier des armes qu’il fallait se fier, c’est-à-dire à tous ceux qui étaient mus par les mêmes intérêts et les mêmes goûts ; c’est pourquoi le château de la fin du XIVe siècle prend, plus encore qu’avant cette époque, l’aspect d’une forteresse, bien que la puissance féodale ait perdu la plus belle part de son prestige. Le château du commencement du XVe siècle proteste contre les tendances populaires de son temps, il s’isole et se ferme plus que jamais ; les défenses deviennent plus savantes parce qu’elles ne sont garnies que d’hommes de guerre. Il n’est plus une protection pour le pays, mais un refuge pour une classe privilégiée qui se sent attaquée de toutes parts, et qui fait un suprême effort pour ressaisir la puissance.

Au XIIe siècle, le château de Pierrefonds, ou plutôt de Pierre-fonts, était déjà un poste militaire d’une grande importance, possédé par un comte de Soissons, nommé Conon. Il avait été, à la mort de ce seigneur qui ne laissait pas d’héritiers, acquis par Philippe-Auguste, et ce prince avait confié l’administration des terres à un bailli et un prévôt, abandonnant la jouissance des bâtiments seigneuriaux aux religieux de Saint-Sulpice. Par suite de cette acquisition, les hommes coutumiers du bourg avaient obtenu du roi une « charte de commune qui proscrivoit l’exercice des droits de servitude, de main-morte et de formariage et en reconnaissance de cette immunité, les bourgeois de Pierrefonds devaient fournir au roi soixante sergents, avec une voiture attelée de quatre chevaux[1]. » Par suite de ce démembrement de l’ancien domaine, le château n’était guère plus qu’une habitation rurale ; mais sous le règne de Charles VI, Louis d’Orléans, premier duc de Valois, jugea bon d’augmenter ses places de sûreté, et se mit en devoir, en 1390, de faire reconstruire le château de Pierrefonds sur un point plus fort et mieux choisi, c’est-à-dire à l’extrémité du promontoire qui domine une des plus riches vallées des environs de Compiègne, en profitant des escarpements naturels pour protéger les défenses sur trois côtés, tandis que l’ancien château était assis sur le plateau même, à cinq cents mètres environ de l’escarpement. La bonne assiette du lieu n’était pas la seule raison qui dût déterminer le choix du duc d’Orléans. Si l’on jette les yeux sur la carte des environs de Compiègne, on voit que la forêt du même nom est environnée de tous côtés par des cours d’eau, qui sont : l’Oise, l’Aisne et les deux petites rivières de Vandi et d’Automne. Pierrefonds, appuyé à la forêt vers le nord, se trouvait ainsi commander un magnifique domaine facile à garder sur tous les points, ayant à sa porte une des plus belles forêts des environs de Paris. C’était donc un lieu admirable, pouvant servir de refuge et offrir les plaisirs de la chasse au châtelain. La cour de Charles VI était très-adonnée au luxe, et parmi les grands vassaux de ce

  1. Compiègne et ses environs, par L. Ewig.