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[château]
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sent avoir été élevées à la hâte et en partie avec des débris plus anciens ; mais on trouve dans leur ensemble une grandeur, une hardiesse qui produisent beaucoup d’effet. La partie réservée à l’habitation particulièrement semble appartenir à des temps héroïques. La grand’salle M, à deux étages, était voûtée à sa partie supérieure, probablement pour placer du canon sur la terrasse. Posées en travers de la crête du rocher, les batteries en barbette, établies sur cette plate-forme très-élevée, commandaient d’un côté le gros ouvrage E et le revers de celui G. Le donjon L est complétement dépourvu d’ouvertures, sauf la porte, qui est étroite et basse. C’était probablement dans cette tour qu’étaient conservées les poudres. Sa partie supérieure, à laquelle on ne pouvait arriver que par un petit escalier extérieur, servait de guette, car elle domine, autant par son assiette sur une pointe de rocher que par sa hauteur, l’ensemble des défenses.

En 1633, le château de Hohenkœnigsbourg, entretenu et habité par une garnison jusqu’alors, fut assiégé par les Suédois. Ceux-ci, s’étant emparés du fortin extérieur, y montèrent une batterie de mortiers et bombardèrent la place, qui n’était pas faite pour résister à ces terribles engins. Elle fut en partie détruite, incendiée, et la garnison fut obligée de se rendre.

Mais, à la fin du XVe siècle, l’artillerie à feu allait commencer le grand nivellement de la société française. L’artillerie à feu exigeait l’emploi de moyens de défense puissants et dispendieux. Les seigneurs n’étaient plus assez riches pour bâtir des forteresses en état de résister d’une manière sérieuse à ce nouvel agent de destruction, pour les munir efficacement, ni assez indépendants pour pouvoir élever des châteaux purement militaires en face de l’autorité royale, sous les yeux de populations décidées à ne plus supporter les abus du pouvoir féodal. Déjà à cette époque les seigneurs paraissent accepter leur nouvelle condition ; s’ils bâtissent des châteaux, ce ne sont plus des forteresses qu’ils élèvent, mais des maisons de plaisance dans lesquelles cependant on trouve encore, comme un dernier reflet de la demeure féodale du moyen âge. Le roi donne lui-même l’exemple ; il abandonne les châteaux fermés. La forteresse, devenue désormais citadelle de l’État destinée à la défense du territoire, se sépare du château qui n’est plus qu’un palais de campagne, réunissant tout ce qui peut contribuer au bien-être et à l’agrément des habitants. Le goût pour les résidences somptueuses que la noblesse contracta en Italie pendant les campagnes de Charles VIII, de Louis XII et de François Ier, porta le dernier coup au château féodal. Beaucoup de seigneurs ayant visité les villas et les palais d’outre-mont trouvèrent, au retour, leurs vieilles forteresses patrimoniales sombres et tristes. Conservant le donjon et les tours principales comme signe de leur ancienne puissance, ils jetèrent bas les courtines fermées qui les réunissaient, et les remplacèrent par des bâtiments largement ouverts, accompagnés de loges, de portiques décorés avec luxe. Les bailles ou basses-cours, entourées de défenses et de tours, furent remplacées par des avant-cours contenant des communs destinés