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[château]
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au logement des serviteurs, des écuries splendides, des parterres garnis de fleurs, des fontaines, jeux de paume, promenoirs, etc. Les seigneurs ne songeaient plus alors à se faire servir par leurs hommes de corvée, comme cela avait lieu deux siècles avant ; ils avaient des serviteurs à gages, qu’il fallait loger et nourrir dans le château et ses dépendances. Peu à peu, les tenanciers à tous les degrés s’étaient exonérés, au moyen de rentes perpétuelles ou de sommes une fois payées, des corvées et de tous les droits seigneuriaux qui sentaient la servitude.

Dès le commencement du XVIe siècle, beaucoup de paysans étaient propriétaires et n’avaient, les divers impôts payés, rien à démêler avec leur seigneur. Depuis le XIIIe siècle, la population des campagnes n’a pas abandonné un seul jour l’espoir de s’affranchir d’abord, puis de devenir propriétaire du sol qu’elle cultive. Il serait curieux (si la chose était possible) de supputer les sommes énormes qu’elle a successivement sacrifiées à cette passion pour la terre. Elle a peu à peu racheté les droits seigneuriaux sur les personnes, droits de main-morte, de formariage, de corvées, de redevances en nature, puis les droits sur la terre ; puis enfin, poursuivant son but jusqu’à nos jours, elle a consenti des baux, sous forme de fermages ; d’amphithéoses, ne laissant échapper aucune occasion, non-seulement de se maintenir sur le sol, mais de l’acquérir. Aujourd’hui, le paysan achète la terre à des prix énormes, bien plus par amour de la propriété que par intérêt, puisque son capital ne lui rapporte souvent qu’un demi pour cent. Il semble ainsi, par instinct, destiné combattre l’abus du principe de la division de la propriété admis par la révolution du siècle dernier. En face de cette marche persistante de la classe agricole, la féodalité, au XVIe siècle, ayant besoin d’argent pour reconstruire ses demeures et entretenir un personnel toujours croissant de serviteurs à gages, abandonne la plus grande partie de ses droits, se dépouille de ses privilèges, droits de chasse, de pêche, droits sur les routes, ponts, cours d’eau. Les uns sont absorbés par la royauté, les autres par la population des campagnes. Pendant que la noblesse songe à ouvrir ses châteaux, ne comptant plus s’y défendre, qu’elle les rebâtit à grands frais, que son amour pour le luxe et le bien-être s’accroît, elle tarit la source de ses revenus pour se procurer de l’argent comptant. Une fois sur cette voie, on peut prévoir sa ruine définitive. Quelque étendues que fussent ses concessions, quelque affaiblie que fût sa puissance, le souvenir de l’oppression féodale du moyen âge resta toujours aussi vif dans les campagnes ; et le jour où, criblés de dettes, leurs châteaux ouverts, la plupart de leurs droits n’existant plus que dans leurs archives, les seigneurs furent surpris par les attaques du tiers-état, les paysans se ruèrent sur leurs demeures pour en arracher jusqu’aux dernières pierres.

La nouvelle forme que revêt la demeure féodale au commencement du XVIe siècle mérite toute notre attention ; car, à cette époque, si l’architecture religieuse décroît rapidement pour ne plus se relever, et ne présente que de pâles reflets d’un art mourant qui ne sait où il va, ce qu’il veut ni