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[construction]
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âge ont compris que la structure de leurs édifices voûtés les amenait à multiplier les charges verticales pour résister à toute pression oblique, ils ont franchement pris leur parti, et comme il faut nécessairement que, dans un édifice, la ligne horizontale l’emporte sur la ligne verticale, ou celle-ci sur la ligne horizontale, à moins de se résoudre à faire de véritables échiquiers, ils sont arrivés à supprimer presque complétement la ligne horizontale, ne conservant plus celle-ci que comme arasement d’étages, pour indiquer un repos intérieur, un sol. D’ailleurs, toujours de plus en plus conséquents avec leurs principes, les maîtres des œuvres, à la fin du XIIIe siècle, indiquent clairement, à l’extérieur des édifices, l’ordonnance intérieure, et en cela nous ferions bien de les imiter. Examinons un bâtiment gothique à l’extérieur, nous dirons s’il est voûté en pierre ou s’il est couvert par une charpente[1]. Ses pinacles nous indiqueront le nombre de ses points d’appui intérieurs ; ses bandeaux, les arases au-dessus des voûtes ; la puissance de ses contre-forts, l’énergie des poussées, leur direction ; ses fenêtres, le nombre des formerets et des travées ; la forme des combles, le périmètre des diverses salles, etc.

À Saint-Urbain de Troyes déjà, les divers membres de la construction sont si délicats, ils possèdent chacun une fonction si nette et indépendante, que l’architecte les assemble, mais ne les relie pas ; il les pose à côté les uns des autres, les maintient ensemble par des embrèvements, des incrustements, comme de la menuiserie ; mais il évite de les liaisonner, car le liaisonnement produit l’homogénéité de toutes les parties, et c’est ce que le constructeur redoute dans l’emploi d’un système où toute partie de la construction agit, résiste, possède son action ou sa résistance propre, action et résistance qui ne peuvent être efficaces qu’autant qu’elles sont indépendantes. Au commencement du XIVe siècle, ce parti pris de laisser à chaque membre de la construction française sa fonction propre et de réunir ces membres en raison de la fonction particulière à chacun d’eux, est poussé jusqu’à l’exagération du principe. Cela est bien sensible dans un monument fort intéressant, élevé de 1320 à 1330 ; nous voulons parler du chœur de l’église Saint-Nazaire de Carcassonne, l’une des rares conceptions originales d’une époque pendant laquelle l’art de l’architecture tombait déjà dans l’application des formules et laissait de côté toute tentative nouvelle, toute expression individuelle.

L’examen attentif, l’analyse de ce monument, nous ont révélé un fait intéressant aujourd’hui pour nous : c’est la méthode simple suivie par

  1. À ce propos, et pour démontrer jusqu’à quel point les opinions sur l’architecture sont fausses aujourd’hui, nous citerons ce jugement d’un homme fort éclairé d’ailleurs, qui, voyant des contre-forts extérieurs indiqués dans un projet, prétendait les faire supprimer par l’architecte, en donnant pour raison que les progrès de la construction devaient faire renoncer à ces appendices appliqués aux édifices dans des temps barbares, et qui n’indiquent autre chose que l’ignorance, etc. Autant dire que nous sommes trop civilisés pour être vrais, et que le mensonge est la marque la plus certaine du progrès.