Aller au contenu

Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 4.djvu/201

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[construction]
[développements]
— 198 —

l’architecte et ses subordonnés pour élever une construction fort compliquée en apparence, et qui semblerait devoir exiger une quantité fabuleuse d’opérations et de tracés. En réalité, les difficultés d’appareil n’existent pas. Cette construction n’est qu’un assemblage de plans verticaux dont les rabattements n’exigent qu’un seul tracé chacun. Il faut admettre, bien entendu, avant toute chose, que l’architecte sait ce qu’il veut, qu’il voit son édifice sous tous ses aspects avant de commencer les fondations, qu’il s’est rendu compte des diverses parties de sa construction ; qu’il a fait, avant la taille de la première pierre, le travail que nous faisons sur un édifice que nous mesurons et examinons dans ses derniers détails. L’architecture gothique est exigeante à ce point, et c’est peut-être ce qui lui attire le plus d’ennemis. Il est si consolant de dire, lorsque se présente une difficulté sur le tas : « Nous verrons cela au ravalement. » Il est si pénible, lorsque tout n’est pas prévu d’avance, d’entendre, chaque jour, une longue série de questions présentées par l’appareilleur ou le conducteur ; questions auxquelles il faut répondre clairement, simplement, en homme qui sait ce qu’il va dire, comme s’il eût prévu ce qu’on aurait à lui demander ! Donc, l’architecte du chœur de Saint-Nazaire de Carcassonne a fait non-seulement le plan de son édifice, non-seulement des élévations et des coupes, mais il sait d’avance le point exact des naissances des divers arcs, de leur rencontre, de leur pénétration ; il a tracé leurs profils et sait sur quoi ils doivent porter ; il connaît les résultats des poussées, leur direction, leur puissance ; il a calculé les charges, il a réduit les forces et les résistances à leurs plus justes limites. Il sait tout cela d’avance, il faut qu’il le sache dès la première assise au-dessus de terre. Sa conception étant ainsi entière, fixée sur son papier et dans son cerveau, ses subordonnés marchent en aveugles. Il dit à l’un : « Voici le dessin de la pile A qui se répète deux fois ; voici le dessin du contre-fort C qui se répète dix fois, etc. ; voici le tracé de la fenêtre A qui se répète six fois, celui de la fenêtre B qui se répète sept fois ; voici une branche d’arc ogive avec ses sommiers, d’arc doubleau avec ses sommiers, etc. » Ceci dit, l’architecte peut s’en aller et laisser tailler toutes les assises et morceaux de chacun de ces membres. Les tailles finies, survient un maître poseur, qui, sans erreur possible, fait monter et assembler toutes ces diverses pièces prenant forcément leur place chacune comme les pièces d’une machine bien conçue. Cette façon de procéder explique comment, à cette époque (à la fin du XIIIe siècle et au XIVe), des architectes français faisaient exécuter des monuments dans des contrées où peut-être ils n’avaient jamais mis les pieds ; comment on demandait d’Espagne, du midi de la France, de Hongrie, de Bohême, des projets de monuments à ces architectes, et comment ces monuments pouvaient s’élever et rappeler exactement, sauf dans quelques détails de profils et de sculpture, les édifices bâtis entre la Somme et la Loire. Le chœur de l’église de Saint-Nazaire de Carcassonne fut probablement érigé ainsi, à l’aide de tracés fournis par un architecte du Nord qui peut-être ne séjourna guère dans cette ville ; ce qui nous le