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rieure de la tour, ne sont point tracés normaux à la courbe, mais à 45 degrés par rapport à l’axe AB ; de sorte que l’action du mouton sur le bec saillant (point le mieux défilé et par conséquent le plus attaquable) est neutralisée par la direction de ces joints, qui reportent la percussion aux points de jonction de la tour avec les courtines voisines. Si l’assiégeant emploie la sape, après avoir creusé sous le bec et même au-delà, il trouve des joints de pierre qui ne le conduisent pas au centre de la tour, mais qui l’obligent à un travail long et pénible, car il lui faut entamer au poinçon chaque bloc qui se présente obliquement, et il ne peut les desceller aussi facilement que s’ils étaient taillés en forme de coins. Dans notre figure, nous avons tracé l’appareil de deux assises par des lignes pleines et des lignes ponctuées.

Lorsque l’architecture religieuse et civile se charge d’ornements superflus, que la construction devient de plus en plus recherchée, pendant les XIVe et XVe siècles, la construction militaire, au contraire, emploie chaque jour des méthodes plus sûres, des moyens plus simples et des procédés d’une plus grande résistance. Les constructions militaires de la fin du XIVe siècle et du commencement du XVe adoptent partout le plein-cintre et l’arc surbaissé ; l’appareil est fait avec un soin particulier ; les maçonneries de blocages sont excellentes et bien garnies, ce qui est rare dans les constructions religieuses. On évite toute cause de dépense inutile. Ainsi, par exemple, les arcs des voûtes qui, au XIIIe siècle et au XIVe encore, retombent sur des culs-de-lampe, pénètrent dans les parements, ainsi que l’indique la fig. 156[1]. Les sommiers de l’arc ogive sont pris dans les assises de parements de la tour. Il n’y a plus de formerets : ce membre paraît superflu avec raison. Le premier claveau A des remplissages des voûtes tient lui-même au parement ; une simple rainure taillée dans ce parement reçoit les autres moellons remplissant les triangles entre les arcs. En même temps que tous les détails de la construction deviennent plus simples, d’une exécution moins dispendieuse, l’appareil se perfectionne, les matériaux sont mieux choisis en raison de la place qu’ils doivent occuper ; les parements sont dressés avec un soin extrême jusque dans les fondations, car il s’agit de ne laisser prise sur aucun point au travail du mineur. Si l’on bâtit sur le roc, celui-ci est dérasé avec toute la perfection que l’on donne à un lit de pierres de taille ; si le rocher présente des anfractuosités, des vides, ils sont bouchés au moyen de bonnes assises. On reconnaît sur tous les points cette surveillance, cette attention, ce scrupule qui sont, pour les constructeurs, le signe le plus évident d’un art très-parfait, d’une méthode suivie.

L’artillerie à feu vient arrêter les architectes au moment où ils ont poussé aussi loin que possible l’étude et la pratique de la construction militaire. Devant elle, ces raffinements de la défense deviennent inutiles ; il faut opposer à ce nouveau moyen de destruction des masses énormes

  1. Des tours du château de Pierrefonds ; commencement du XVe siècle.