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ne chercherons pas à décider. Il nous suffit que le fait soit reconnu, et c’est à quoi les exemples que nous allons donner tendront, sans qu’il puisse rester de doutes à cet égard dans l’esprit de nos lecteurs. D’abord, en examinant les édifices les plus anciens de l’ère romane, nous voyons que les architectes ont une tendance prononcée à les élever d’une seule ordonnance de la base au faîte ; à peine s’ils marquent les étages par une faible retraite ou un bandeau. Cette tendance est si marquée, qu’ils en viennent bientôt à allonger indéfiniment les colonnes engagées, sans tenir aucun compte des proportions des ordres romains, et à leur faire toujours porter la corniche supérieure (la véritable corniche), si élevée qu’elle soit au-dessus du sol. Abandonnant l’architrave et la frise de l’entablement romain, la colonne porte directement la corniche, le membre utile, saillant, destiné à protéger les murs contre les eaux pluviales. Cela dérange les dispositions et proportions des ordres romains ; mais cela, par compensation, satisfait la raison. Les Romains percent des arcades entre les colonnes d’un ordre engagé, c’est-à-dire qu’ils posent une première plate-bande (l’architrave), une seconde plate-bande (la frise) et la corniche au-dessus d’un arc, ce que nous n’empêchons personne de trouver fort beau, mais ce qui est absolument contraire au bon sens. Les architectes romans, à l’imitation peut-être des architectes byzantins, adoptent les arcs pour toutes les ouvertures ou pour décharger les murs ; ils posent souvent, à l’extérieur, des colonnes engagées, mais ils ne font plus la faute de les surmonter d’un entablement complet, nécessaire seulement lorsque les colonnes sont isolées. La colonne engagée prend le rôle d’un contre-fort (c’est son véritable rôle), et son chapiteau vient porter la tablette saillante de couronnement de l’édifice, autrement dit la corniche.

Voici (1) un exemple entre mille de ce principe si naturel de construction[1]. La corniche n’est plus ici qu’une simple tablette recevant les tuiles de la couverture ; entre les colonnes engagées, cette tablette repose sur des corbeaux. Les eaux tombent directement sur le sol sans chéneau, et, afin de trouver à la tête du mur une épaisseur convenable pour recevoir le pied de la toiture, sans cependant donner aux murs une épaisseur inutile à la base, des arcs de décharge portés sur des pilastres ou contre-colonnes engagées AB et sur des corbeaux augmentent, sous la corniche, l’épaisseur de ce mur. Chaque morceau de tablette a son joint au-dessus de chacun des corbeaux, ce qui est indiqué par le raisonnement. Si la corniche romaine est décorée de modillons (lesquels figurent des corbeaux, des bouts de solives) comme dans l’ordre corinthien et l’ordre composite, ceux-ci sont taillés dans le bloc de marbre ou de pierre dont est composée cette corniche. C’est un travail d’évidement considérable ; il y a entre la forme apparente et la structure un désaccord complet. Dans ces corniches romanes, au contraire, l’apparence décorative n’est que la conséquence

  1. De l’abside de l’église de Léognan (Gironde), fin du XIe siècle.